« Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas »- Imre Kertész

Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pasDans son livre « Un autre : Chroniques d’une métamorphose »  » Imre Kertész se disait « marqué » à la fois par sa déportation à Auschwitz et par la vie sous le joug soviétique dans la Hongrie d’après guerre.
« Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas » confirme, si besoin était, la souffrance morale vécue par cet auteur…une souffrance, un traumatisme, qui lui interdisent d’envisager sereinement l’avenir, qui ne lui donnent pas le droit d’avoir un enfant, d’être père, avec tout que cela comporte comme responsabilités
Ayant côtoyé la mort, il ne peut transmettre la vie, et de ce fait, refuse tout enfant à son épouse.Une épouse qui l’abandonnera et le laissera seul.
Le texte est doublement difficile. 

Difficile tout d’abord, car il nous permet de vivre l’état d’esprit de l’auteur, cette blessure définitive de l’âme, cette nouvelle personnalité. Un poids sur les épaules qui l’immobilise, et perturbe son comportement pour le reste de ses jours. « Cet homme, que ses parents ont élevé dans le plus strict esprit chrétien, dans la bigoterie », découvrit sa judéité à Auschwitz. On perçoit, en lui, l’homme broyé par ces deux expériences totalitaires successives. Ces réalisations humaines, Auschwitz et le communisme, posent toutes deux un problème philosophique à l’humanité parce qu’elles ont eu lieu, parce que l’Homme les a conçues. Il tente de les décortiquer. Depuis, définitivement condamné à revivre Auschwitz, il avoue qu’il lui est impossible d’écrire sur le bonheur  : « on ne peut pas guérir d’Auschwitz, personne ne peut se remettre de la maladie d’Auschwitz ». Et pourtant, certains hommes lui ont permis de conserver espoir en l’Humanité : on ne peut qu’être troublé, comme il l’a été, par l’attitude de cet instituteur qui garda sa portion de nourriture, à l’auteur malade, couché sur un brancard.  D’autres l’auraient accaparé sans vergogne. La subtilité de cette approche philosophique n’est pas toujours facile à appréhender.
Difficile aussi, car le texte sans paragraphe est fait de longues phrases souvent pesantes comportant de nombreuses digressions. 
Pour ces deux raisons conjointes , il est souvent nécessaire d’effectuer des relectures complètes de paragraphes ou de phrases afin de s’en imprégner, et d’espérer comprendre la pensée de l’auteur. 
Celui-ci reste écrasé par ce passé, et adulte, il en arrive même à se sous-estimer « moi, je suis écrivain et traducteur, et je ne vais pas me ridiculiser en me réclamant des géants qui furent de véritables écrivains et -parfois – de véritables traducteurs, parce que je suis suffisamment ridicule sans cela, avec mon métier » – rappelons qu’il reçut le Prix Nobel – et à nous préciser son rapport avec la littérature qui lui permet de prolonger cette souffrance permanente : « il s’avéra qu’en écrivant, je cherchais la souffrance la plus aiguë possible, à la limite de insupportable, vraisemblablement parce que la souffrance est la vérité »
On se souviendra qu’il fut déporté à l’age de 15 ans, son enfance s’achevait. Ce fait est le seul qui permet de mieux comprendre la gravité de cette obsession, les conditions d’écriture de ce texte complexe, ce refus de transmettre la vie :
«Non !» – je ne pourrais jamais être le père, le destin, le dieu d’un autre être,
«Non !» – jamais ne peut arriver à un autre enfant ce qui m’est arrivé dans mon enfance,
«Non !» – criait, hurlait en moi quelque chose, il est impossible que cela, c’est-à-dire l’enfance, lui arrive – t’arrive.
Éditeur :Babel – Traduction  Natalia Zaremba-Huzsvai – Charles Zaremba – 2003 – Date de première parution : 1990 – 142 pages

Quelques mots sur Imre Kertész


Quelques lignes
  • « Auschwitz, dis-je à ma femme, m’est apparu par la suite comme une exacerbation des vertus qu’on m’inculquait depuis ma prime jeunesse. Oui, c’est alors, durant mon enfance, durant mon éducation qu’a commencé mon impardonnable anéantissement, ma survie jamais survécue, dis-je à ma femme. J’ai pris une part modeste et pas toujours très efficace au complot silencieux ourdi contre ma vie, dis-je à ma femme. Auschwitz, dis-je à ma femme, représente pour moi l’image du père, oui, le père et Auschwitz éveillent en moi les mêmes échos, dis-je à ma femme. Et s’il est vrai que Dieu est un père sublimé, alors Dieu s’est révélé à moi sous la forme d’Auschwitz, dis-je à ma femme. Quand je finis par me taire après ce long discours et gardai le silence pendant des jours, ma femme paraissait exténuée, certes, mais elle semblait ne pas avoir compris ce que j’avais dit, plus précisément, ne pas avoir saisi ce que j’avais dit comme je l’avais dit, c’est-à-dire qu’elle semblait ne pas avoir remarqué que je dirigeais – et j’avais beau le savoir moi-même, bien sûr : sans raison (et c’est le moins que je puisse en dire) –, que sans raison, cruellement et vraisemblablement seulement parce qu’elle m’avait écouté jusqu’au bout, je dirigeais toute ma colère contre elle, et pour ne pas avoir à employer le mot de révolte en ce lieu, dans cette circonstance où il ne serait pas à sa place, je préfère dire que ma femme semblait peut-être croire qu’après avoir raconté, extériorisé, vomi tout cela, je m’en étais libéré, oui, comme si je pouvais m’en libérer, comme si on pouvait me libérer de tout ça, voilà ce qu’elle devait penser, pensais-je, en remarquant ses quelques tentatives, à vrai dire hésitantes, de se rapprocher, de se rapprocher de moi avec compréhension. » (P. 133)
  • « J’étais profondément déprimé, impuissant et abandonné, à un tel point que cela s’avérait incompensable, c’est-à-dire que cela ne faisait plus avancer mon travail, au contraire, ça le paralysait totalement. » (P. 134)
  • « …car plus fortes que ma raison sont ces blessures que je porte en moi, même si je réussissais à les guérir, il lui semblait que je n’avais pas voulu et que je ne voulais toujours pas guérir, et qu’elles nous avaient coûté notre amour, notre mariage. » (P. 136)

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