
Alors une seule solution s’offre à lui : émigrer vers des cieux meilleurs, vers ces îles paradisiaques, dans lesquelles on cultive le café… Partir, c’est s’engager dans un long voyage de trois mois dans les cales d’un bateau surchargé…partir sans être certain d’arriver à bon port. Sa femme et sa fille ne verront jamais le paradis attendu…elles ne pourront résister aux épidémies, leur corps sera jeté en mer…A l’arrivée, il faudra attendre, toujours attendre le bon vouloir des autorités pour décrocher le lopin de terre qui permettra d’espérer la richesse tout accepter y compris travailler dans la mine…
Début d’un parcours peuplé d’embûches, un parcours auquel il n’était pas préparé….
Albert va découvrir qu’on peut être, sous ce soleil des îles encore plus pauvre, encore plus rejeté qu’en France. Il se heurtera aux sbires de la France coloniale, à ses mensonges, à la France coloniale qui cogne et rejette ses ressortissants dont elle n’oublie pas le passé.
Alors il y a l’alcool pour oublier et entretenir l’espoir, l’espoir d’un demain meilleur, un espoir qui ne quitte jamais Albert.
Un espoir insensé qui peut faire sombrer dans la dépression, la déchéance et finalement la folie.
Peinture de cette France coloniale violente non seulement avec cette population nègre, c’est le mot employé alors, mais violente aussi avec ses ressortissants, ceux qui espéraient une vie meilleure mais dont le passé n’était pas pur et sans tâche, ces petits blancs dont elle se débarrassait à bon compte, à leurs frais, en leur faisant miroiter la richesse et un avenir meilleur.
Histoire cruelle et violente de ces petits colons qui iront dans les îles de désillusion en désillusion, et de ces noirs impuissants face cette force qui détruit leur vie.
Belle découverte !
Editions Le Peuple de Mu – 2017 – 170 pages
Qui est Nicolas Cartelet
Quelques lignes
« Les miséreux, ça fait des paris. Nous, on avait fait le pari de partir en famille. Pari perdu. » (P. 13)
» Avec les jours je devenais en quelque sorte expert dans l’art du camouflage, je m’enfonçais dans le rhum à des profondeurs encore jamais atteintes, même un cosaque ne m’aurait pas repêché à des distances pareilles. » (P. 26-27)
- « C’est à bord de pirogues gigantesques qu’ils abordèrent nos côtes, des pirogues qui avaient affronté des eaux jusqu’ici inviolées. Ils venaient de très loin, tellement loin qu’il leur avait fallu trois cents vies d’hommes pour parvenir chez nous – les trois cents vies où nous avions vécu heureux, précisément. Pour avoir enduré un si long voyage sans jamais avoir fait demi-tour, il fallait qu’ils aient de terribles desseins dans la tête. L’avenir prouva que c’était malheureusement le cas. » (P. 59)
- « Comment te haïrais-je, comment serais-je amer en te voyant, toi qui es tout petit parmi les tiens, quand je suis magnifique parmi les miens ? Jalouser les petits quand on est grand, c’est la marque des fous. Je ne le suis pas. » (P. 61)
- « Comment se tire-t-on d’un vilain mensonge qu’on n’avait pas imaginé voir enfler dans de telles proportions? En vérité c’est impossible. Soit l’on déçoit tout de suite en se trahissant, soit l’on déçoit plus tard, quand la capricieuse vérité consent à éclater. » (P. 136)