« Les ombres de l’Araguaia » – Guiomar de Grammont

Les ombres de l'AraguaiaLeonardo était l’un de ces étudiants utopistes qui, au cours des années soixante-dix, ont tenté de lutter, aux côtés de paysans contre le régime brésilien en participant à la Guérilla de l’Araguaia… il était l’un de « ces jeunes engagés dans le militantisme étudiant peu avant d’entrer dans la clandestinité »
Aujourd’hui le fils est absent, il n’a pas rejoint sa famille…Sa sœur, qui était encore gamine à l’époque, a grandi dans ce manque, aux cotés de ses parents..Ce manque a lourdement affecté la vie familiale, le père se réfugia dans le silence et la fabrication de jouets pour Sofia, alors que la mère ne vivait que dans l’espoir d’un retour. 
A la mort du père dans les années quatre vingt-dix, Sofia reprend les recherches qu’il avait entreprises en ne négligeant aucune piste, aucune rencontre. Elle s’appuie un cahier assez mystérieux transmis par un ami et écrit à la fois par un homme et une femme.
« Marcos était arrivé un jour, de nulle part, avec ce texte dans les mains. Il le lui avait donné en disant :
-Regarde ça, Sofia, c’est le journal de quelqu’un qui a participé à la Guérilla de l’Araguaia »
Ce cahier lui permet de comprendre à la fois ce qu’était la vie de ces paysans et étudiants rebelles, quel était leur idéal, et qui étaient ces combattants fuyant les soldats au cœur de cet environnement hostile à toute vie humaine..La jeune femme découvrait ce monde et l’homme était quant à lui un jeune guérillero racontant la mort de ses amis et sa fuite à la suite de l’attaque de son camp par les soldats… Environ dix mille soldats entraînés et cruels combattaient quelques dizaines d’étudiants et des paysans mal armés. Ils commettaient les pires exactions quand l’un des paysans ou quand l’un des étudiants avait le malheur d’être leur prisonnier.
De leur coté, les guérilleros n’étaient pas des anges. Eux aussi avaient du sang sur les mains.
Ces paysans et étudiants qui avaient rencontré Raoul Castro tentaient de reproduire au Brésil l’expérience cubaine. Ils espéraient mobiliser autour d’eux beaucoup plus de combattants. Idéalistes et généreux, ils voulaient une autre vie, une autre société pour le Brésil, dirigé à l’époque par une dictature militaire très dure.
L’auteure fait alterner les deux voix et les époques, nous fait voyager de Cuba à Brasilia en passant par la forêt amazonienne sans troubler le lecteur. 
Bien que le dénouement soit connu, cette quête de Sofia est passionnante. Elle plonge le lecteur dans le quotidien de ces combattants, au cœur de leur entrainement, de leur espoirs, de leurs idéaux, et de la répression. Et dans la tragédie de leur fin! Émotions garanties 
Découverte d’une époque, d’une guérilla méconnue, d’une partie de l’histoire mouvementée de l’Amérique du sud. Aujourd’hui encore il semble que le gouvernement brésilien, cache cette triste période.
Un livre toutefois récompensé dans son pays, le Brésil, par le Prix National Pen Club.
Editions Métailié 2017 – Traduction : Danielle Schramm – Publié en 2015 sous le titre original Palavras Cruzadas – 225 pages


Quelques lignes
  • « Ils m’ont fait asseoir sur un tronc pour boire mon café. Et ils m’ont raconté que l’armée avait arrêté beaucoup de gens. Qu’ils avaient tué un des camarades et l’avaient pendu la tête en bas, puis qu’ils avaient donné des coups de pied dans son visage jusqu’à le déformer complètement. » (P. 46)
  • « Au début, j’ai feuilleté les pages verdies par l(humidité avec une infinie précaution, comme si j’avais trouvé un livre sacré qui aurait pu m’apprendre comment remonter le temps et m’éloigner de cette réalité oppressante. A la lueur qui émanait d’un trou dans le tronc de ma cachette, j’ai commencé, avidement, à lire et relire ce que tu m’as écrit. » (P. 48)
  • « S’il a combattu dans la Guérilla de l’Araguaia, il a peut-être disparu sans laisser de traces. Des soixante-dix guérilleros qui étaient là-bas, la plus grande partie a été éliminé sur place. D’autres, plus tard. Très peu ont survécu, conclut-il avec le plus de délicatesse possible. » (P. 63)
  • « Personne ne voulait parler de la guérilla. Quelques années après son triste dénouement, un membre de la tribu avait été interviewé sur ce qui s’était passé en Araguaia. Peu de temps après, il avait été embarqué par des hommes en civil. On ne l’avait plus jamais revu. » (P. 120) 
  • « …l’amnistie, en fait, empêche le pardon. Pour qu’il y ait pardon, il faut pouvoir exprimer tout son ressentiment. Seuls la narration et le souvenir, c’est à dire la révision du passé, permettraient la pardon. Il faut raconter l’histoire avec les yeux du présent, pour exorciser la douleur. » (P. 166)

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