
Le cadre du roman n’est pas des plus folichons, loin de là…des maisons toutes identiques avec un jardinet autour, dans une banlieue. Les gamins jouent dans une casse de voitures proche du fond du jardin. Jardin où s’ébattent quelques chèvres miniatures, passions de la mère… une mère effacée que la gamine narratrice compare à une amibe.
La maison simple n’est pas banale :« À la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents, et celle des cadavres »…des cadavres qui sont, en fait, des trophées de chasse ramenés par le père qui les contemple, les caresse amoureusement, et surtout interdit qu’on les touche.
Pas n’importe quel chasseur du dimanche, chassant dans la garrigue le lapin ou le sanglier, non un chasseur, un vrai, un dur, un tueur qui expose à la vue de ses gamins et de son épouse terrorisés, principalement des trophées d’animaux africains ou himalayens, souvent en voie de disparition, parmi lesquels un lion et une hyène empaillées et une défense d’éléphant qu’il chérit amoureusement.
Par son comportement, il m’a fait penser aux chasseurs et aux « beaufs » croqués par Cabu et Charb…Ces deux là dont le regard sur notre société et l’humour me manquent de plus en plus, tués par des fous de la gâchette d’un autre genre….Le genre de bonhomme avec lequel seuls certains chasseurs peuvent sympathiser, autour de litres de gros rouge. Un pauvre type dangereux qu’on découvre au fil des pages, qui explique les informations télévisées à sa femme sans doute trop bête à ses yeux. Un type abject avec ses gosses leur offrant des cadeaux malsains, un type colérique qu’on a envie de boxer et d’assommer à plusieurs reprises, surtout quand il frappe sa femme.
Mais vous trouverez d’autres occasions pour avoir envie de le faire.
Les deux gamins arrivent malgré tout à presque s’accommoder de ces deux parents, ils s’évadent dans la casse automobile où il jouent dans les carcasses, jusqu’à ce qu’il ce qu’ils se fassent virer par le propriétaire, et puis aussi souvent que possible, il vont déguster une glace achetée chez le glacier qui passe dans la rue avec sa fourgonnette…une glace recouverte d’un dôme de chantilly, déposée avec un siphon….un siphon qui, lui aussi, jouera un rôle essentiel dans la vie des gamins et dans le roman.
Dès les premières pages, le lecteur est pris par cette ambiance malsaine, par les regards de la gamine intelligente et futée sur sa famille, ses descriptions, ses sensations. Une gamine qui nous fait partager cette vie familiale, qui nous raconte les silences ou coups de gueule de ce père imprévisible et, face à lui, l’absence de réactions de cette mère terrorisée. Deux personnages anti-héros à ses yeux ne partageant aucun amour. Heureusement, les gamins sont attachants, l’amour de cette gamine pour son frère est sans limite…Quant au frère… découvrez-le!
On pressent que ça va mal tourner! Oui mais quand et comment ?
Ami lecteur, j’ai envie de te dire « Fume, c’est du belge »…Oui tu auras envie de « fumer » certains personnages, oui tu prendras du plaisir avec cette gamine et son écriture et tu tousseras avec cette mère absente et taiseuse, et tu auras envie de vomir en découvrant ce père, qui n’a de père que le nom…
La vraie vie de nombreuses familles…
Belle découverte de cette jeune auteure belge récompensée à ce jours de trois prix littéraires. Dans l’attente d’autres, j’espère.
Editions L’Iconoclaste – 2018 – 263 pages
Quelques mots sur Adeline Dieudonné
Quelques lignes
- « Je crois que, dans cette famille, personne n’aimait le moment où on se retrouvait réunis autour du repas du soir. Mais mon père nous imposait ce rituel, autant qu’il se l’imposait à lui-même. Parce que c’était comme ça. Une famille, ça prend ses repas ensemble, plaisir ou pas. C’était ce qu’on voyait à la télé. Sauf qu’à la télé, ils avaient l’air heureux. Surtout dans les pubs. Ça discutait, ça riait. Les gens étaient beaux et ils s’aimaient. Le temps passé en famille nous était vendu comme une récompense. Avec le Ferrero Rocher, c’était supposé être la friandise à laquelle on a droit après les heures passées à travailler au bureau ou à l’école. Chez nous, les repas familiaux ressemblaient à une punition, un grand verre de pisse qu’on devait boire quotidiennement. Chaque soirée se déroulait selon un rituel qui confinait au sacré. Mon père regardait le journal télévisé, en expliquant chaque sujet à ma mère, partant du principe qu’elle n’était pas capable de comprendre la moindre information sans son éclairage. C’était important le journal télévisé pour mon père. Commenter l’actualité lui donnait l’impression d’avoir un rôle à y jouer. Comme si le monde attendait ses réflexions pour évoluer dans le bon sens. Quand le générique de fin retentissait, ma mère criait : « À table ! » » (P. 29-30)
- « …la vie est une grande soupe dans un mixer au milieu de laquelle il faut essayer de ne pas finir déchiqueté par les lames qui vous attirent vers le fond. » (P. 89)