« Chien blanc » – Romain Gary

Chien blancRomain Gary vivait aux Etats-Unis, à Beverly Hills. Il avait rejoint en février 1968 Jean Seberg, son épouse, qui tournait un film. Il y rencontra d’autres acteurs dont il nous parlera. 
Amoureux de la liberté, il laissait Sandy, son chien, vagabonder pour son pipi du soir, et un jour Sandy revint avec un copain trouvé sans doute auprès d’un lampadaire, un copain avec une verrue sur le nez, un superbe berger allemand gris, qui immédiatement fit partie de la famille. Il était si gentil, si calme…. Romain Gary, honnête, tente de retrouver son ancien maître. En vain.  

Alors, Batka, ce sera son nom, fera partie de la famille…Un chien affectueux avec tout le monde, qui pourtant, un jour, fut prêt à manger crû le Noir venu entretenir la piscine.  Après s’être rapproché d’un ami, dresseur de chiens, Romain Gary se rend compte que ce chien est prêt à attaquer tous les Noirs à portée de son museau. 
Batka est un chien dressé par la police, à l’attaque des Noirs à l’occasion des manifestations. Pardon, les flics, les cops préféraient le mot « Negroes », les Nègres. Spécialement dressé pour mordre, pour sauter à la gorge des Nègres, donc !
Quand on connaît un peu Romain Gary, on se doute que Chien Blanc n’est pas un remake d’un nouveau « Lassie »…Non, Batka est le fil conducteur pour l’écrivain engagé qu’était Romain Gary qui lui permettra de nous parler des Noirs au cœur de la société américaine. Une société bousculée par la guerre du Vietnam, une société qui méprisait les Noirs mais acceptait sans problème des Noirs dans les rangs de son armée, des Noirs chair à canon. Y compris des noirs gradés ! 
Oui mais des Noirs qui exigeraient plus de droits civiques à leur retour. 
Sans aucune complaisance, il analyse les failles psychologiques et sociales de ce grand pays, leur origine  : « Derrière chaque Noir qui brûle, viole ou assassine, il y a le crime des Blancs, notre crime. Nous les entassions dans des bateaux infâmes, nous les enchaînions à fond de cale dans l’ordure, sans air, si bien que cinquante pour cent de la « cargaison » crevait souvent en route…”.  
Au cours du séjour de Romain Gary aux Etats-Unis, Martin Luther King fut assassiné d’une balle dans la gorge. Son meurtre donna lieu à de nouvelles émeutes, toujours plus violentes, toujours violemment réprimées par la police, qui tirait parfois…
Le cycle sans fin de la violence.
Son regard sur cette société est sans équivoque : « le problème noir aux États-Unis pose une question qui le rend pratiquement insoluble : celui de la Bêtise. Il a ses racines dans les profondeurs de la plus grande puissance spirituelle de tous les temps, qui est la Connerie. »
Ce regard  humaniste conserve toute son actualité et pourrait s’appliquer, soixante ans après, à pratiquement toutes les sociétés occidentales : « J’appelle donc « société de provocation » une société qui laisse une marge entre les richesses dont elle dispose et qu’elle exalte par le strip-tease publicitaire, par l’exhibitionnisme du train de vie, par la sommation à acheter et la psychose de la possession, et les moyens qu’elle donne aux masses intérieures ou extérieures de satisfaire non seulement les besoins artificiellement créés, mais encore et surtout les besoins les plus élémentaires ». 
Notamment lorsqu’il évoque aussi le sujet de l’immigration dans nos société occidentales.
C’est également le diplomate qui analyse et qui parle sans langue de bois : il connait bien cette société américaine : il fut Consul Général de France à Los Angeles, à la fin des années 50.  Il rencontra nombre d’hommes politiques dont John et Bob Kennedy
A son retour en France, quelques semaines plus tard, il participa sur les Champs Elysées, en qualité de Gaulliste convaincu, à la manifestation de soutien au Général De Gaulle. Il arborait fièrement sa Légion d’honneur obtenue à titre militaire…cela ne l’empêchera pas de recevoir un coup de matraque sur la tête.
Les plus anciens se souviendront de ce printemps où le monde s’agitait, de cette guerre du Vietnam, des manifestations étudiantes à Paris et dans de nombreuses villes de France. Ils prendront certainement plaisir à cette lecture.
Et le chien dans tout ça ? Il suivait son programme de rééducation, mais je n’en dirai pas plus..Attendez la fin !
Gros coup de cœur…qui fait partie des livres que je relirai, sans doute. 
Avec un bonheur renouvelé. 
Éditeur : Gallimard Folio – Première parution en 1970 – 220 pages – 2018

Qui est Romain Gary


Quelques lignes

  • « Je crois qu’il n’est pas aux États-Unis d’être humain plus méprisé par les extrémistes noirs qu’une femme blanche qui a des amants noirs. » (P. 132)
  • « Ce qu’il importe de dire, c’est qu’il y a parmi les Blancs des inadaptés psychologiques, des misfits, qui utilisent la tragédie et la revendication des Afro-Américains afin de transférer leur névrose personnelle hors du domaine psychique, sur un terrain social qui la légitime. Ceux qui cachent en eux une faille paranoïaque se servent ainsi des persécutés authentiques pour se retourner contre l’« ennemi ». » (P. 141)
  • « Rien de plus aberrant que de vouloir juger les siècles passés avec les yeux d’aujourd’hui. » (P. 149)
  • « Le seul endroit au monde où l’on peut rencontrer un homme digne de ce nom, c’est le regard d’un chien. » (P. 152)
  • « Depuis l’assassinat de John, Bobby représente une tentation irrésistible pour le paranoïaque américain moyen. La contagion psychique du qui-dit-mieux. Et il y a autre chose. Bobby est une provocation pour tout déséquilibré, persécuté, torturé par son inexistence… Bobby is too much. Il est trop. Trop jeune, trop riche, trop séduisant, trop heureux, trop puissant, trop de possibilités. Il éveille en tout paranoïaque un sentiment d’injustice. Il agit comme une vitrine de luxe sur un pauvre amoindri de Harlem, comme l’exhibition de la richesse américaine aux yeux du tiers monde. Il est trop. » (P. 157) 
  • « J’aime beaucoup Hemingway comme écrivain, mais il faut bien dire qu’il a été le créateur d’un mythe ridicule et dangereux : celui de l’arme à feu et de la beauté virile de l’acte de tuer… Il a été absolument impossible d’obtenir du Congrès une loi interdisant la vente libre des armes à feu. » (P. 159)
  • « C’est terrible, l’émigration. Ça vous rend consul général de France, prix Goncourt, patriote décoré, gaulliste, porte-parole de la délégation française aux Nations unies. Terrible. Une vie brisée. Je sors mon mouchoir de soie de chez Hermès et je m’essuie les yeux. Les gaz. Je m’aventure sur le boulevard Saint-Michel, toutes décorations dehors. Les étudiants s’écartent en se bouchant le nez. » (P. 194)

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