
Celle de ces saisonniers, cueillant des légumes, des fruits, se déplaçant d’une exploitation à l’autre, d’une saison à l’autre, passant de la boue des asperges, au soleil des abricots, puis au froid des olives, trimant courbés comme des bêtes parfois sous la pluie, vivant et se déplaçant dans des véhicules dont personne ne voudrait au gré des récoltes et des besoins de la nature….Un jour embauchés, le lendemain inactifs, les fruits n’étant pas assez mûrs pour être commercialisés. Payés au rendement, au kilo ramassé, et souvent non défrayés pour les temps de transport du mas provençal au champ ou au verger…Dure vie des saisonniers que nous ne soupçonnons pas quand nous mordons dans nos abricots.
Tous ont besoin d’argent, ils ne savent rien faire d’autre ou ne trouvent pas d’autre emploi, alors ils sont contraints et se contentent des conditions que leur proposent les exploitations agricoles. Bon gré mal gré…Et dans « exploitation », j’ai lu le mot « exploité »…oui exploités bien trop souvent.
Catherine Poulain n’est pas un auteur fréquentant les salons parisiens. Je serais étonné d’appendre qu’elle fait le tour des cocktails, flûte de champagne à la main… »Bonjour ma chère, comment allez vous? »… Elle n’est pas une femme à courbettes et ronds de jambes. Assez brute de décoffrage, mais humaine, elle ne cherche pas à plaire artificiellement. On doit l’accepter comme elle est.
Elle m’avait entraîné dans le monde de travail dur et physique des pêcheurs de haute mer, des hommes solidaires face aux dangers qu’ils couraient, des hommes qui se respectaient, qui la respectaient. Elle était seule femme embarquée sur ces chalutiers, seule femme dans un monde d’hommes. Et pourtant à aucun moment elle n’avait eu à déplorer une quelconque attitude sexiste, ou machiste, une quelconque allusion sexuelle…ou si peu. On lui avait pris sa couchette. En tout cas, elle n’en parlait pas. Elle retraçait une vie dans un monde d’honneur.
Alors qu’elle était saisonnière, on lui avait dit « Tu es courageuse. Tu as le cœur blanc….le cœur pur. »…elle n’était pas trop faite pour ce monde sans respect pour l’Autre, dans lequel les femmes, nombreuses parfois sont des objets sexuels. Alcool, drogue, sexe font l’essentiel de cette vie qui ne fait pas rêver, de cette vie qui n’est pour beaucoup que le seul moyen de gagner quelque argent vite dépensé. Elle a mené cette vie, mais n’était pas à sa place…le cœur trop blanc sans doute.
On est bien loin de ce monde de pêcheurs de haute mer !
Oui, j’avais été assez séduit par « Le grand Marin ». Et j’ai été assez déçu par « Le cœur blanc », par la noirceur de certains personnages, et aussi par l’écriture plus rugueuse, plus noire, parfois ennuyeuse.
Peut-être parce que ce monde des saisonniers est à nos portes, et bien moins fascinant que celui de la mer. Pas d’évasion par la lecture !
Bref un roman bien éloigné de l’autre roman de Catherine Poulain « Le grand Marin »
Éditions de l’Olivier – 2018 – 254 pages
Présentation de Catherine Poulain
Quelques lignes
- « Les crevasses aux jointures de ses doigts lui font mal, celles du pouce et de l’index saignent un peu, là où les tiges des olives ont creusé leurs sillons. Elle les porte à sa bouche, souffle dessus. L’eau bout. Lentement elle prépare sa besace, la thermos de café et les biscuits, la boîte de sardines. Elle serre entre ses mains le gobelet brûlant et fume en regardant le ciel pâlir. Le merle s’est tu et le vent se lève, un bruit de vague qui s’amplifie dans les arbres. Bientôt il arrivera en rafales dans le cabanon. Dehors ce sera pire. Elle s’habille chaudement, replie sa couverture et sort. » (P. 31)
« Elle a peur soudain de son propre corps, du désir des hommes qui s’y accroche chaque jour davantage. Elle relève la tête et marche plus vite. »(P. 44)
- « Lui dans sa dérive, un peu sale, hâve, épuisé, parce qu’il avait pris des amphés la veille avec ses potes espagnols. Soudain je ne supportais plus cela, même le sida me laissait indifférente, peut-être l’avait-il la Saloperie sournoise, avec toute cette vie de défonce derrière lui, et penser qu’il me l’aurait refilée, qu’elle préparait son nid en moi, oui cela m’était devenu bien égal quand je le voyais se tuer avec tant d’application. On a fait l’amour. Sans un mot. Sans joie. » (P. 93)
- « J’ai toujours l’impression d’être nue sous le regard des hommes, enfermée dans mon corps comme sur une île déserte. Peuplée de fauves qui me guettent et pourraient me dévorer. Ça me rend coupable et mal à l’aise. » (P. 155)