« Les oiseaux morts de l’Amérique » – Christian Garcin

Les oiseaux morts de l'AmériqueLas Vegas …. pour tous c’est le fric qui s’étale, les casinos, les belles bagnoles et belles nanas, le bling-bling à tous les coins de rue, bref…..une ville superficielle et sans âme qui tous connaissent. C’est ce qu’on y voit en surface : le brillant des dollars qui coulent à flot.
Mais dans ses sous-sols, dans ses immenses collecteurs ou coulent à flot les eaux des orages du désert, vivent ceux qui rejettent tout ce fric, qui rejettent cette société, des parias. Ce sont, pour certains d’anciens soldats ayant combattu au Vietnam ou ailleurs. Ils vivent tous en marge de cette société qui leur a fait perdre leur jeunesse.
Hoyt Stapleton, l’un d’eux, connaît bien ces tunnels, cette vie sous terre. Las-bas, au Vietnam, il était un « rat des tunnels. Il fait partie de ces nombreux hommes traumatisés par cette guerre, incapables de surmonter cette horreur. Il combattait non pas dans la jungle, à l’ombre des forêts, mais dans les commandos sous terre, dans les tunnels creusés par les Viets pour se déplacer sous la jungle, sous le napalm….Il était chargé de les éliminer, au couteau.

Cette vie souterraine dans des galeries cimentées de quelques dizaines de centimètres à plusieurs mètres de large, ne lui fait pas peur…c’est son monde, même si elle lui rappelle d’horribles souvenirs, ces copains égorgés par dessus lesquels il fallait passer pour avancer…ces tunnels dans lesquels on ne pouvait pas faire demi-tour.
Ici, à Las Vegas, il vit avec d’autres vétérans, tous survivants de l’horreur de la guerre, d’autres guerres. Stapleton est ami avec deux autres vétérans, McMulligan et Myers, qui , quant à eux ont connu l’Irak, ou l’Afghanistan, le désert. Tous trois se sont retrouvé à Las Vegas, vivant entre eux de leurs pensions, aux cotés d’autres américains seuls ou en couple, semi-clodos laissés pour compte par le système ou refusant ce monde de fric. Tous sont des exclus de ce monde moderne, de cette société américaine. Des exclus par choix en ce qui concerne ces vétérans, qui côtoient d’autres exclus de la société, des exclus bien involontaires quant à eux du système.
Alors Hoyt s’évade, en retournant dans le passé, en voyageant vers son enfance, en voyageant par la poésie, dans les livres.
Les guerres se suivent, les traumatismes sont identiques :« On devait être une armée de libération et en moins de deux, on est devenu une armée d’occupation, puissante et maladroite, avec des cinglés dans le genre de ton pote qui prenaient leur pied à dézinguer des civils pendant que d’autres devenaient dingues de tant de saloperies… »
Ils ont tout donné, et malgré tout ont été abandonnés à leur sort après leur démobilisation: « L’Irak, l’Afghanistan, le sort réservé aux prisonniers, Guantanamo….les drones… »
Christian Garcin joue avec ces contrastes, fric et bling-bling d’un côté, hommes meurtris au plus profond d’eux-mêmes de l’autre. Des hommes incapables de comprendre et de s’adapter à ce monde, pour lequel on les a fait combattre, pour lequel certains de leurs amis ont perdu leur vie, pour lequel l’armée leur a tous fait perdre leur âme : « des jeunes types utilisés, transformés en assassins bouffés de trouille, traumatisés à vie, qui avaient eu la chance de s’en sortir en un seul morceau et qu’on avait pour certains d’entre eux laissé tomber, sans pension, sans rien« .  Dans tous les cas des hommes laissés pour compte, au même titre que ces clodos vivant en marge de cette société dans laquelle l’argent est roi.
Une autre peinture de cette Amérique, de ce fric, de cette société superficielle. Une peinture qu’on nous cache. Une honte de l’Amérique.
Découverte de cet auteur, découverte de ce monde peu médiatisé de ces exclus de l’Amérique. 
Belle et sombre découverte.
Éditions Actes Sud – 2018 – 216 pages

Présentation de Christian Garcin


Quelques lignes

  • « Mais ce nom de Las Vegas avait fini par tout englober et désignait à présent l »ensemble, aussi bien le boulevard qui débordait de fric et de paillettes que le monde entier connaissait, que le reste de la petite ville plutôt délabrée que personne ne visitait jamais. » (P. 26)
  • « Au début il se disait que c’était une ville qui puait aux narines, mais pas uniquement : aussi aux yeux, à la morale et à l’entendement. » (P. 33)
  • « On devait être une armée de libération et en moins de deux, on est devenu une armée d’occupation, puissante et maladroite, avec des cinglés dans le genre de ton pote qui prenaient leur pied à dézinguer des civils pendant que d’autres devenaient dingues de tant de saloperies… Au bout du compte, on a bien foutu le bordel pour récupérer le pétrole, le sang a coulé partout, et dix ans après on y est encore pour nettoyer les rues avec des drones pilotés depuis le quartier d’à côté, tu en sais quelque chose. Alors pour ce qui est de la « vraie réalité du monde », tu repasseras. C’est un gros con, ton Talons aiguilles, et basta. » (P. 132)
  • « Cette ville est folle [….] Je l’ai toujours dit. Des paumés sans toit ni famille, du fric qui dégouline partout, des ex-marines barjos, d’anciens pilotes sous antidépresseurs, des types égorgés sur des parkings, des assassins en fuite, des voyageurs temporels, et maintenant des milliers d’oiseaux morts qui tombent du ciel…Vraiment n’importe quoi. » (P. 178)

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