« Cinq branches de coton noir » – Yves Sente / Steve Cuzor

Cinq branches de coton noirIl est bon de rappeler certaines vérités historiques, notamment lorsqu’on va célébrer le 75ème anniversaire du débarquement américain en Normandie. Il est bon aussi de jouer de l’Histoire, de la grande Histoire, pour nous distraire, nous faire rêver… « Cinq branches de coton noir » est construit entièrement autour de ces vérités qui peuvent déranger et du roman…
Roman dont on cherche une fois la dernière page tournée à vérifier la part de vérité.
La bande dessinée est également construite autour de deux périodes, Janvier 1776 à Philadelphie, période de proclamation de l’Indépendance des États-Unis et du premier drapeau américain et juin 1944, date du débarquement en Normandie…deux périodes qui alternent agréablement au fil des pages

Vérité historique indubitable et révoltante…les Noirs étaient exclus des combats du débarquement, ils n’étaient affectés qu’aux tâches non combattantes, chauffeurs, cuisiniers…bref, on ne voit aucune photo d’un Noir débarquant, de l’eau jusqu’à la ceinture…Ils ne sont là que pour manipuler ces chars de baudruche faits pour tromper l’aviation ennemie. 
Racisme quand tu nous tiens!… Pourquoi ? Problème de confiance ? Hiérarchie des races y compris pour écraser un régime nazi raciste ?  Bref, l’armée américaine et certains GI sont présentés comme racistes..ce qui n’est peut être pas tout à fait faux, même si c’est dérangeant  : c’était toute la société américaine qui l’était. Rosa Parks était encore une inconnue en 1944.
Légende sans doute, d’autre part : Betsy Ross, une jeune femme noire aurait été la couturière du premier drapeau américain, drapeau sur lequel elle aurait cousu une étoile noire à coté des 12 blanches…. Vérité historique indubitable : ce drapeau a disparu. Ce qui laisse la possibilité de rêver.
Alors, afin de donner un rôle un peu plus valorisant à ces Noirs, un gradé passionné d’histoire demande à cinq soldats noirs de partir à la recherche de ce premier drapeau américain, qu’un général nazi, passionné d’œuvres d’art posséderait, à Paris 
Début, pour ces cinq soldats, d’une traversée mouvementée de la France en guerre, de cette France en cours de libération…Une équipe qui se réduit au fil des pages
Ce passage permanent de l’Histoire au roman, de la vérité à la fiction n’est pas dérangeant, bien au contraire. Cette bande dessinée est plaisante à découvrir et à lire. Ces 170 pages se dévorent. Les dessins sont fouillés, précis, vrais. Associés au texte ils créent des atmosphères qui permettent de dénoncer, période après période le poids de la ségrégation, du racisme, pendant plus de deux siècles. 
Bref, j’ai passé un bon moment.
Et surtout après j’ai tenté de faire le tri, de chercher la part de réalité et la part de fiction…
J’en ai su un tout petit peu plus, et puis j’ai laissé tomber…je suis resté dans cette histoire, dans ces dessins..C’était si agréable.
J’ai du patienter plusieurs semaines avant de pouvoir disposer de cet ouvrage toujours réservé dans la médiathèque qui participe à mes voyages littéraires…
Je ne le regrette pas
Éditions Dupuis – 2018- 170 pages

Présentation du Scénariste Yves Sente

Présentation du dessinateur Steve Czor


Quelques lignes

  • « Crois-moi, Lincoln. Tu rêves quand tu dis que nous aurons le droit de devenir des héros américains, un jour. Ces gars nous méprisent depuis la nuit des temps et ça ne changera pas. » (P. 13)
  • « – Tu as vu ? Il y a un post-scriptum au dos de la lettre… « PS : un détail pour ta future thèse de fin d’études. Ici, en Europe, les soldats noirs américains ont leur propre signe de la victoire, un double ‘V’ réalisé avec chaque main. Le premier ‘V’ est pour la victoire contre les Nazis. Le second est pour notre victoire contre l’Amérique ségrégationniste.  » (P. 23) 
  • « Mes parents nous avaient éduqués tous les trois de la même manière. « Tant que vous êtes honnêtes, polis et travailleurs, rien ne peut vous arriver dans la vie », disaient-ils toujours. Je réalisais seulement à quel point ce qui ressemblait pour nous, enfants, à une affirmation n’était en fait qu’une prière que nos parents adressaient à l’avenir. […] Je venais seulement de comprendre – ou d’accepter – que, esclaves ou descendants d’affranchis, les Noirs n’ont pas plus d’avenir dans ce nouveau pays qui va proclamer son indépendance dans quelques jours que dans celui qui appartenait aux Anglais. » (P. 50) 
  • « En fait, c’est surtout ça, vivre la guerre. C’est prendre conscience que la mort arrive sans prévenir. » (P. 109) 

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