"Le syndrome de Garcin" – Jérôme Garcin

« Mais si je ne témoigne pas de cette tribu clinique, dont seuls d’obscurs traités et des manuels déshumanisés gardent la trace, qui d’autre le fera ?« 

Une tribu familiale, ou plutôt deux tribus, paternelle d’une part, maternelle d’autre part, qui se rencontrèrent à la fois sur les bancs de l’Université , dans les chambres d’hôpitaux et s’unirent sur ceux de l’Eglise…des mandarins sur plusieurs générations…des lignées ininterrompue jusqu’au père de Jérôme Garcin, un père qui préféra l’édition au stéthoscope. 

Jérôme Garcin prend la plume pour décrire cette histoire familiale, ces vocations de médecins, mais aussi pour justifier presque son choix de ne pas avoir voulu faire partie de cette lignée, pour expliquer des traumatismes, des pertes qui l’éloignèrent d’une vocation qui ne l’attira pas, pour partager l’histoire de quatre générations de médecins, auprès du Piton de la Fournaise, dans les chambres d’hôpitaux parisiens… 

L’enfance de Jérôme se passe auprès de ses deux grands pères.

Son grand-père paternel était un neurologue qui identifia un trouble neurologique invalidant auquel il laissa son nom… un grand père toujours cravaté, même pour aller peindre sur la plage..Son grand père maternel appartenait, quant à lui, à la dynastie des Launay….Des générations d’étudiants en médecine, les accompagnaient lors de leurs visites quotidiennes dans les salles communes ou les chambres d’hôpitaux. 

Mais surtout Jérôme souffre, quant à lui, depuis son enfance d’un manque. Du manque d’une part de lui-même, de la perte de son frère tué par un chauffard. Une perte dont lui parlera sa grand-mère : « Mam me raconte le garçon que j’ai été dans les mois qui ont suivi la mort d’Olivier, me décrit très précisément ma détresse, ma sidération, mon repliement, mes jeux solitaires, mes crises d’angoisse, mes insomnies, mes appels au secours, et aussi ma manière bravache de dévorer la vie, de manger pour deux, de feindre d’ignorer le drame qui, en me traumatisant, m’a métamorphosé au seuil de mes six ans »

Son grand-père côtoyant la mort chaque jour était incapable d’en parler..

C’est peut-être le syndrome qui explique la personnalité de l’auteur Jérôme Garcin, sa sensibilité, ses choix de vie, ses titres…Il avait six ans quand il perdit ce frère aîné.

« Quelle consolation ou quelle argumentation, enfin, suis-je donc allé chercher en visitant cette dynastie de mandarins ? Peut-être l’idée toute simple que si soigner, c’est sauver des vies, écrire, c’est les prolonger. » écrira-t-il en fin d’ouvrage.

Jérôme Garcin…qui, quant à lui, préféra la plume au stéthoscope, comme son père éditeur.

Une plume qui dans ce titre prend presque la forme d’une thérapie, du divan sur lequel ceux qui souffrent d’un manque, ceux qui s’interrogent sur eux-mêmes vont s’allonger…

Une plume qui nous permet de mieux le connaître. Et, en ce qui me concerne, de toujours l’apprécier.

Éditeur : Gallimard – 2017 – 153 pages


Présentation de Jérome Garcin


Quelques lignes

  • « Car, de son vivant, mon grand-père avait donné son patronyme non seulement à un syndrome, mais aussi à un trouble neurologique permettant de démasquer l’hémiplégie chez un patient qui a les yeux fermés, l’avant-bras à la verticale, les doigts écartés, le pouce en adduction et dont la paume se creuse alors. » (P. 13)
  • « La généalogie est une science fondée sur un mystère, de l’Histoire taquinée par le roman. J’ai toujours un peu de mal à croire ce que je sais, à comprendre ce que j’apprends. » (P. 23)
  • « Le caducée est toujours agrippé à la croix. La médecine est encore une agence matrimoniale. » (P. 70)
  • « …combien il était difficile pour une femme, à la fin du XIXe siècle, de choisir la carrière médicale. On ne les jugeait pas assez fortes physiquement pour les interventions orthopédiques, on les suspectait de manquer de sang-froid dans les cas d’urgence et on arguait que les hommes refuseraient de se faire soigner et sonder par elles. » (P. 88)
  • « D’ailleurs, les médecins de ma famille, au premier rang desquels mes deux grands-pères, n’ont jamais voulu, fût-ce pour des maladies bénignes, soigner les leurs. Ils préféraient laisser cette tâche à leurs confrères de quartier ou à ceux qu’ils appelaient des « spécialistes ». Ils craignaient sans doute d’être embarrassés par leurs sentiments, comme si, à l’instant de rédiger une simple ordonnance ou de faire une piqûre, l’affectivité eût ébranlé leur savoir et menacé leur compétence. » (P. 139)
  • « Je suis le petit-fils de deux grands médecins et je ne sais donc rien de l’hôpital, qui est la capitale de ce livre, qui fut la seconde demeure de mes grands-pères et de leurs aïeux, la dernière escale sur terre de mon frère et de mon père, mais où je n’ai jamais été admis, comme si une main supérieure, invisible et anonyme m’en interdisait l’accès. » (P. 142)

Laisser un commentaire