"Miss Islande" – Auður Ava Ólafsdóttir

Elle doit être certainement une bien belle femme !…

A moins que l’homme qui, à la descente du car, la salue et lui propose de participer au titre de Miss Islande, soit un de ces lourdeaux balourds et ventripotents…Il se présente comme un homme affaires et lui tend une carte de visite.

Hekla Gottskálksdóttir vient de voyager en cette année 1963 sur les routes défoncées d’Islande. Dans sa valise des feuilles dactylographiées qu’elle compte bien faire publier et une machine à écrire, afin de poursuivre le roman en cours. 

Elle se rend chez son amie Ísey.

Celle-ci lit l’avenir d’Hekla dans une tasse de café et lui dit : « je vois deux hommes. Tu en aimes un et tu couches avec l’autre ».

L’un d’eux est Jón John. Il travaille sur les chalutiers et part pour de longues campagnes de pêche. Un homme tout en souffrance : dix-neuf ans après l’indépendance de l’Islande, les esprits sont encore fermés…très fermés, peu tolérants pour les homosexuels qu’il est de bon ton de tabasser pour passer le temps. 

Jón John pêcheur par nécessité, ne rêve que de création artistique et de devenir styliste. Il travaille aujourd’hui dans le sang des cachalots qu’on dépèce par centaines.

L’autre est Starkadur, il travaille dans une bibliothèque et approvisionne Hekla en livres, des livres…toujours présents, qu’elle les dévore ou les écrive…..comme nègre parfois!

Entre deux tasses de café, et quand son bébé lui en laisse le temps, Ísey écrit son journal.

N’y cherchez pas une histoire, une intrigue…vivez plutôt avec cette lecture dans une atmosphère…l’atmosphère d’un pays fascinant et froid, aux côtés de ses pêcheurs courageux partant pour de longues semaines dans le froid et les tempêtes pour la pêche à la morue ou la chasse aux cachalots au large, une île rude par son climat et ses hommes, une île indépendante depuis treize ans seulement, une île qui se construit encore grâce à ses volcans

Une île surveillant de près les homosexuels « exclus de l’armée et jetés en prison s’ils sont découverts. On les traite comme les violeurs d’enfants et les communistes ». 

Une île raciste également, rejettant les Noirs

Et puis il y a ces maisons dans lesquelles on passe le plus clair de son temps, au chaud, aux cotés de personnes que l’on apprécie, en prenant le temps pour parler, pour lire, pour écrire…tout ce qui passionne Hekla. 

Pas facile pour une femme comme elle de se faire un nom dans le monde de la littérature, de la création, mondes macho…et pourtant ….

Dans cette île rude, si tu es belle (et gentille je suppose) pas de problème, tu peux devenir Miss!  

Éditions Zulma – Traduction : Eric Boury – 2019 – Parution initiale : 2018 – 262 pages


Lien vers la présentation de Auður Ava Ólafsdóttir


Quelques lignes

  • « Les homosexuels sont surveillés de près, poursuit-il. Des agents passaient devant chez moi deux fois par jour, ils ralentissaient pour espionner par la fenêtre. Les enfants aussi adorent épier Sodome, comme les adultes, voilà pourquoi je préfère louer sous les combles, et je risque moins d’être cambriolé. Même s’il n’y a rien à voler, à part la machine à coudre. » (P. 56)
  • « Que j’avais commencé par écrire sur le temps qu’il faisait, comme mon père, et sur les changements de lumière au-dessus du glacier de l’autre côté du fjord, que j’avais d’abord décrit les nuages blancs qui flottaient comme un écheveau de laine sur l’aire de glace, puis que j’avais ajouté des gens, des lieux et des événements. » (P. 71)
  • « Les autorités islandaises ont passé un accord stipulant qu’aucun Noir ne serait affecté à Keflavík. L’armée américaine en a envoyé un par erreur, il a été autorisé à rester à condition qu’il ne sorte pas de la base. Cet été, avec le jour perpétuel, il a perdu le sommeil. » (P. 80)
  • « L’Islande est indépendante depuis dix-neuf ans. Mais les grossistes ont pris le relais des rois du Danemark et des marchands qui détenaient le monopole du commerce. Ils se font construire des magasins dignes de palais le long du boulevard Sudurlandsbraut grâce aux profits qu’ils engrangent en vendant des fonds de tartes importés du Danemark. » (P. 130)
  • « ….j’ai envie de passer ma journée à lire quand je ne suis pas en train d’écrire. Blotti sous la couette en duvet de canard, le poète ignore tout du phoque qui se débat dans ma tête, il tend le bras vers moi, je le laisse faire et je cesse de m’accrocher aux mots, demain matin ils auront disparu, j’aurai perdu mes phrases. Chaque nuit, j’en perds quatre.. » (P. 137)
  • « …j’ai dévoré tous les livres que nous avions à la maison dès que j’ai su lire, je les ai avalés les uns après les autres, dans l’ordre où ils étaient rangés sur les étagères et en commençant par celles du bas. Puis je les ai remontées. Les unes après les autres. Tu dois être plus grande pour certains livres, me disait ma mère quand je me plaignais de ne pas atteindre celles d’en haut. » (P. 234)

3 réflexions sur “"Miss Islande" – Auður Ava Ólafsdóttir

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