« En censurant un roman d’amour iranien » – Shahriar Mandanipour

Comment rester indifférent à un tel titre et à une telle couverture…

surtout quand, avec un couple d’amis, nous échangeons des livres pour occuper intelligemment le confinement...

« Tu devrais aimer !…. » m’ont-ils dit ! Un grand merci à vous deux!….

Sara cherche le livre « La chouette aveugle«  à la bibliothèque. Il n’y est pas. Coup de chance, un homme le vend d’occasion sur le trottoir. 

Le livre contient une lettre lui proposant de reconstituer un message en ne lisant que les caractères du roman soulignés d’un point violet….début d’un jeu de piste qui lui propose par la suite d’emprunter « Le petit prince ».

Le correspondant anonyme lui explique comment lui répondre, comment il pourra, à son tour, poursuivre cette conversation à partir d’un livre qu’il choisira dans la bibliothèque, et qu’il lui demandera d’emprunter…

Elle ira jusqu’à lui écrire un message de 50 caractères en lui imposant la lecture de Guerre et Paix, sur lequel elle a placé un 1 point violet sous chacune des lettres composant le message…

Un romanesque exigeant…mais ce n’est que le début d’un roman d’amour platonique entre Sara et l’inconnu Dara…ce n’est que le fil conducteur qui permet à Shahriar Mandani de nous proposer trois lectures sous ce seul titre… 

Devant la feuille blanche, l’auteur commence cette bluette, commence à écrire cette histoire d’amour pas banale, histoire d’amour que nous verrons écrite en caractère gras, bluette entre deux ados qui portent des noms passe-partout en Iran. Histoire d’amour originale quant à son scénario…puis des mots barrés apparaissent, ceux que la censure interdirait..cette auto-censure que s’impose l’auteur de ce roman d’amour..

. »Si j’écris ces mots, ils seront censurés »…. »Non je dois écrire »… »ça, ça ne passera pas » !

Une censure qu’il connaît bien, incarnée par Monsieur Petrovitch que tout écrivain iranien connaît bien…rien n’est nouveau sous le ciel iranien. Ce dernier analyse avec lui les phrases ou les mots interdits, censurés, lui explique qu’il ne doit parler que de la beauté du monde créé par Dieu, mais nullement écrire le mot sein, ni jamais décrire le corps de la femme…..

Bien triste réalité de cette censure iranienne associée à l’hypocrisie religieuse d’un homme et d’un pouvoir. Cette deuxième lecture du livre et de la censure iranienne laisse bien peu de place à la liberté, à l’amour, à la créativité des auteurs…Bien triste formatage des ouvrages et des esprits.

Comme dans toute histoire d’amour banale entre une belle jeune fille et un jeune homme pauvre, apparaît le riche monsieur, plus tout jeune…prétexte pour l’auteur de nous proposer la troisième lecture, une lecture de la vie en Iran, de la société iranienne, où se mêlent dans le récit prisonniers politiques, police des mœurs, soirées alcoolisées, vieux riches à la recherche de chair tendre, voisins délateurs, BMW et vieilles guimbardes, et j’en passe.

Ah! qu’il est difficile pour un garçon et une fille d’y vivre une histoire d’amour au grand jour !

Bref, un roman qui ne laisse pas indifférent, loin de là !

Nous nous plaignions de notre manque de liberté, des contrôles de la police, etc…ceux-ci n’ont duré que quelques semaines pendant ce confinement…ce titre nous montre le courage d’un peuple cultivé qui en endure bien plus, depuis bien des années. 

Shahriar Mandanipour évoque notamment Abbas Kiarostami, réalisateur iranien qui eut des ennuis à son retour de Cannes, où il reçut la palme d’or en 1997 pour « Le goût de la cerise » parce que Catherine Deneuve lui avait fait la bise mais aussi le marché noir, les bons d’achat, les trafics divers, la censure, les médicaments difficiles à trouver sauf sur les marchés non officiels, les arrestations par la police… 

Nous pouvons grâce à l’humour et à la dérision de Shahriar Mandanipour nous rendre compte de notre bonheur, des difficultés, le mot est bien faible, affrontées par le peuple iranien. 

« Après tout, l’un des avantages de la lecture d’un récit romantique est que l’on ressent les expériences éprouvées par l’auteur et par ses personnages. »….(P. 243)

Un excellent roman donc ! Un roman qui de plus vous suggère bien d’autres lectures.

« Plus les années passent, plus il est certain que nous autres Iraniens appartenons à une nation qui n’a pour lot que tristesse et chagrin. » (P. 381)

Éditions du Seuil – Traduction : Sara Khalili & Georges-Michel Sarotte – 2011 – Parution initiale en 2009 – 403 pages


Lien vers la présentation de Shahriar Mandanipour


Quelques lignes

  • « C’est à cause de cette torture psychologique que l’examen d’un seul livre peut durer une année, cinq même, voire vingt-cinq. » (P. 21)
  • « Nous craignons constamment que l’avenir nous apporte un régime politique encore plus dur. Voila pourquoi nous devons être extrêmement vigilants en ce qui concerne notre vie quotidienne et les empreintes de pas qui demeurent dans notre village. » (P. 28)
  • « J’espère qu’après cet exemple un peu longuet, vous comprenez désormais pourquoi la censure est si compliquée en Iran et pourquoi la littérature iranienne, qui est très riche, est si difficile à lire et à traduire . » (P. 47)
  • « Quelques mois après le triomphe de la révolution islamique, tous les bordels qui n’avaient pas été incendiés furent fermés, tandis que le mot honteux de « prostituée » était effacé du lexique farsi et remplacé par l’expression de « dame vulnérable ». Quelques mères maquerelles furent exécutées et un grand nombre de dames vulnérables se retrouvèrent à la rue. » (P. 88)
  • « Je connais votre caractère à vous les écrivains. je sais que vous êtes fragiles et sensibles. C’est la raison pour laquelle le Malin vous prend plus souvent pour cible que les gens ordinaires. Il cherche à vous séduire, à vous tromper et il vous souffle des choses que vous feriez mieux de ne pas écrire. Vous rendez-vous compte que je veux que votre bien, à vous et vos confrères? » (P. 129)
  • « …selon les dernières recherches scientifiques, seulement vingt pour cent des hommes du monde entier ont une cervelle, les autres ont une femme. » (P. 286)

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