« Le passeur de lumière – Nivard de Chassepierre maître verrier » – Bernard Tirtiaux

« Jamais tu ne seras satisfait de ton ouvrage »

…lui dit Rosal en le quittant…Rosal était un de ses amis chevaliers…

Cette insatisfaction, cette recherche du toujours plus beau, plus grand, plus, plus…. est, sans aucun doute, la clé de la beauté de toutes ces œuvres réalisées par ces artistes méconnus qui ont bâti nos cathédrales.

Nivard de Chassepierre tue le seigneur de Barvaux en duel. Le jeune homme doit quitter son village, partir le plus loin possible afin de se faire oublier. Nivard avait réussi à se faire embaucher par Maître François, un vieil artisan, en lui prouvant de quoi il était capable…il lui avait donné un cheval, serti de pierres, taillé dans un morceau de poirier..

Afin de se faire oublier de ceux qui voudraient venger la mort de Barvaux, Nivard commence alors un long périple qui transportera le lecteur vers Bruges, Constantinople, Jérusalem et les lieux saints, avant un retour en Europe.

Voyage initiatique à la rencontre d’autres artisans cherchant la perfection mais aussi aux côtés de guerriers templiers. Chacune de ces rencontres l’enrichira, soit en lui permettant au fil du temps d’approcher encore plus l’excellence dans son métier, soit en le confrontant à des épreuves personnelles et familiales très douloureuses.

D’autres que lui auraient baissé les bras, se seraient murés dans le silence, et retirés du monde…lui au contraire s’appuie sur ces épreuves pour devenir meilleur encore… pour tendre encore plus vers l’excellence…

Il ose…des expériences, des mélanges pour obtenir de nouvelles couleurs de verre…il ose s’attaquer à ces cathédrales que la foi des peuples du Moyen-Âge bâtit: « …..le vitrail doit couronner les élans souverains de la pierre, qu’il en est l’onction, l’indispensable auréole, le verrou de la charge, l’aboutissement de l’œuvre. »

Beau voyage dans le temps et dans l’art.

Bernard Tirtiaux est sans aucun doute un passionné qui aime partager et transmettre ses compétences et ses passions….comme le font tous ces artisans d’arts, ces Meilleurs Ouvriers de France : ils s’enrichissent du savoir de leurs anciens, le perfectionnent encore et transmettent le tout à des plus jeunes.

Bernard Tirtiaux a sans doute fait sienne cette pensée : « Tout ce qui n’est pas donné est perdu »…

Alors il nous donne des heures de passions, de découvertes, d’amour du travail bien fait, d’Histoire..Des heures de voyage qu’on ne voit pas passer.

Il nous explique et on perçoit toutes les difficultés de conception et de réalisation de ces vitraux, de l’obtention de ces couleurs, de ce Bleu de Chartres, couleur que nous sommes incapables de reproduire aujourd’hui, malgré notre technologie…ces vitraux de plusieurs tonnes qui nous semblent si légers…

En effectuant quelques recherches sur ce sujet, la suite de cette lecture, je suis tombé par hasard sur cette phrase attribuée à François Michelin « Les usines sont les cathédrales des temps modernes »…la spiritualité de notre temps … toujours plus, plus, plus…

Triste temps…heureusement la lecture nous permet à la fois de rêver, de voyager dans d’autres périodes, et de nous bousculer, de nous indigner.

Éditeur : Denoël – Folio – 2000 – Parution initiale en 1995 – 395 pages


Lien vers la présentation de Bernard Tirtiaux


Quelques lignes

  • « À cette époque, les routes sont tellement hasardeuses qu’il est plus que courant de croiser des convois ramenant des cadavres à la place de leur chargement. » (P. 146)
  • « Il la souffle en prenant soin de  la tenir en équilibre par giration, puis il la fait balancer au bout de sa canne. Par la force centrifuge et par modelage sur un caniveau de bois, la sphère s’étire et se transforme en un long cylindre éblouissant, le canon. Il y a près des fours de profonds fossés, où ces canons oscillent comme d’immenses et affriolants fruits de lumière léchés par un vent gourmand. Le spectacle est sublime. Dès qu’un manchon est façonné, il est ouvert à ses extrémités par tout un jeu de cannes et de pontils qui manœuvrent la pièce comme de longs becs d’oiseau, l’attrapent puis s’en défont. Lorsque le cylindre est ouvert sur ses deux embouts, on le fend sur toute sa longueur à l’aide d’un fer rougi posé sur un tapis de sciure. La fissure est maintenue entrebâillée et le canon est porté jusqu’au four d’étendage. C’est là que le verre sera déployé et aplani, avant de prendre le chemin du fourneau à recuire qui se trouve plus loin. » (P. 176)
  • « En 1125, le verrotarium s’achève. C’est le plus fantastique joyau de lumière érigé par l’homme. Il est doté d’un millier de teintes et, quand on se place sous la coupole, il paraît en avoir bien davantage car le même verre, selon son emplacement, multiplie ses variations subtiles. Lorsque le soleil projette sur le sol et les hommes ses éclaboussures chatoyantes, c’est d’une splendeur à couper le souffle. » (P.234-5)
  • « C’est du beau langage, celui qui va au-delà des mots, qui ne livre que l’essentiel, qui fait parler les taciturnes, les écorchés, les mal-aimés des Écritures, qui travaille les questions et non les réponses.. »(P. 353) 

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