« Mais leurs yeux dardaient sur Dieu » – Zora Neale Hurston

« Tellement j’en ai passé du temps avec eux les ptis blancs que  jusqu’à mes six ans par là j’ai jamais su que j’étais pas blanche. »

Janie est une jeune femme qui a été élevée par sa grand-mère. Tout le monde l’appelle Alphabet. Elle a découvert qu’elle était noire en regardant une photo!

Quant à moi, j’ai découvert cette auteure et Janie en flânant devant des boites à livres…Le livre était abandonné là, ou offert au bonheur d’un autre lecteur….

Qui sait?

Abandonné peut être car il avait peut-être dérouté un autre lecteur n’ayant pas été séduit par cette écriture, en « petit nègre » souvent, sans aucun racisme de ma part, bien entendu….

Mais comment donc faire vivre Janie Mae Killicks, personnage principale du livre, une « petite femme nègre » en lui donnant une langue ne correspondant pas à son milieu, à son époque, la Guerre de Sécession, à l’âge du livre qui a plus de 80 ans ? …..époque où les conventions étaient bien différentes.

Mais ce lecteur a peut-être voulu offrir quelques heures de bonheur à un cet lecteur que je suis, lecteur qui plongea au cœur des années de la fin de cette guerre, cette époque où les « nègres » comme on disait alors, n’avaient pas encore le droit à un enseignement scolaire.

Janie a épousé Logan. Ensemble ils ont créé un commerce dans lequel elle fait une grande partie du travail et surtout des taches lourdes et difficiles. Malgré toute sa bonne volonté, elle n’arrive pas à aimer Logan, violent avec elle!..Jusqu’au jour où passe Joe Starks. Il est Noir et se rend en Floride, parce que là-bas, ils construisent une ville destinée aux Noirs.

Elle quitte son mari qui lui faisait faire tous les sales boulots et s’en va avec Joe sur sa charrette vers Eatonville, une « ville » ne rassemble en fait que quelques bicoques. Joe en deviendra Maire. Janie devient Broda Starks…une nouvelle vie de commerçant débute…ce n’est pas la dernière..ce n’est pas non plus une vie de grand bonheur, ni le grand amour promis…

Patience ! Tea Cake..jeune homme un peu bohème, lui fait découvrir une autre vie, plus insouciante, plus libre. Un autre amour !

Oui, l’écriture est déroutante, servie sans aucun doute par une traduction qui fait vivre, avec réalisme, ces personnages humbles qui n’ont pas ou peu fréquenté l’école. On « pédale un peu » au début avec cette langue, cette gouaille , puis progressivement le charme opère, et cette langue devient naturelle, évidente même.

On s’attache à cette femme travailleuse, délaissée, négligée par certains qui croisent sa vie, aimée par d’autres.

Presque esclave, en tout cas bonniche de certains, elle fait briller l’âme d’autres compagnons qui lui permettront de s’émanciper, de devenir femme libre.

Oui, c’est un titre qui sort des sentiers battus, un regard nouveau, comparable par bien des points avec celui de Toni Morrison, un regard qui ne m’a pas laissé indifférent. Loin de là!

Une belle découverte. Un beau livre d’amour de la vie, de la liberté…

« L’amour c’est comme la mer. C’est une chose ça bouge, mais n’empêche même à la fin, ça s’en va prendre forme aux rivages que ça touche, et ça change à chaque rivage » (P. 303)

Éditions Zulma – 2018 – Traduction par Sika Fakambi – Parution initiale en 1937 – 305 pages


Lien vers la présentation de Zora Neale Hurston


Quelques lignes

  • « Tu sais, chère, nous autres les personnes de couleur on est rien que des branches sans racines et ça fait que les choses elles nous arrivent toutes croches de même.. » (P. 32)
  • « Il y avait quelque chose chez Joe Starks qui intimidait la ville. Ce n’était pas tant son physique. Il n’était pas prompt à user de ses poings. Sa stature même n’était pas si impressionnante pour un homme. Ce n’était pas non plus le fait qu’il fût plus instruit que les autres. Quelque chose en lui forçait les hommes à lui céder le pas. Il avait au visage un air de commandement qui leur imposait de baisser la tête, et chacune de ses foulées rendait la chose plus tangible encore. » (P. 80)
  • « — Moi j’en sais quèques-unes, des choses, et les femmes elles pensent aussi !
      — Aoow naaan, elles pensent pas. Elles pensent juste qu’elles pensent. Quand moi je vois une chose j’en comprends dix. Toi tu vois dix choses et t’en comprends même pas une » (P. 117)
  • « Car qu’est-ce qui peut excuser aux yeux des autres hommes l’absence de puissance d’un homme ? Des petits morveux au derrière loqueteux de seize dix-sept ans lui adresseraient du regard leur pitié implacable tout en laissant leur bouche articuler quelque parole d’humilité. Il n’y avait plus rien à attendre de la vie. Toute ambition était vaine. Et cette cruelle trahison de Janie ! Toute cette ostentation d’humilité quand depuis le début elle le méprisait ! Riait de lui, et maintenant incitait la ville entière à faire de même. Joe Starks ne savait pas les mots pour le dire, mais il savait le ressentiment. Alors il frappa Janie de toutes ses forces et la chassa du magasin. » (P. 130)
  • « Elle dardait ses yeux là-haut attendant que quelque chose se manifeste et fasse signe. Une étoile dans le jour, peut-être, ou le soleil qui crie, ou même le grommellement d’un tonnerre. L’espace d’un instant ses bras se levèrent en un geste de supplique désespérée. Ce n’était pas exactement qu’elle implorait, elle questionnait. Le ciel restait hiératique et muet, alors elle rentra chez elle. Dieu en ferait moins qu’Il en avait dans le cœur » (P. 282)

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