
« Un Chilien sur cinq vivait dans des conditions de pauvreté extrême, sans droits sociaux, mais qu’importe puisqu’il y avait des malls et des shopping centers où ils pourraient acheter à crédit la télé à écran plat qui étoufferait dans l’œuf toute velléité de protestation. » (P. 22)
Gabriela, jeune mapuche – les mapuches sont issus d’un peuple autochtone du Chili – filme les exactions de la police. Elle et Stefano ont fait connaissance au cinéma et ont parlé films .
Elle ne savait pas où loger, alors Stéfano, ancien militant de la garde révolutionnaire du début des années 70, lui proposa d’emménager dans la salle de projection de son cinéma.
Un gamin de 14 ans, fils du rédacteur d’une chaîne de télé est retrouvé mort…il semble qu’il a été victime d’un règlement de compte ou d’une overdose…le cadre est mis : nous savons en quelques pages que ce livre sera noir…et dérangeant.
Confirmation rapide de ce sentiment après le lecture de l’intervention musclée de la Section anti-émeute….survivante de ce passé.
Gabriela, aidée de Stefano, et du père Patricio vont tenter de comprendre ce crime…et entraimer le lecteur dans ce Chili qui ne parvient pas à se débarrasser des réminiscences de son passé de violence et de dictature chère à Pinochet, époque du plan Condor visant à éliminer les opposants de cet humaniste qu’était Pinochet.
Sans oublier Esteban, cet avocat affectionnant les « causes perdues ». Ce fils de riches, aurait pu choisir d’autres combats, rémunérateurs. Non, lui préfère ces bars dans lesquels il noie son mal-être dans des verres d’alcools forts et ne parvient pas à laver ses souvenirs des victimes entassées dans les stades de Santiago.
Il se bat pour identifier tous ces salauds et leurs complices tortionnaires restés impunis coupables de tant de larmes.
Cette affaire du gamin mort va réveiller tous ces vieux souvenirs, tous ces criminels cachés.
Les bons, d’un côté les salauds de l’autre…très vite le lecteur saura avec qui il va rouler, dans le sillage de l’auteur.
Dans tous les cas, ce polar noir et ses surprises m’ont permis de passer de bons moments.
Série Noire Gallimard – 2016 – 410 pages
Lien vers la présentation de Caryl Férey
Quelques lignes
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« Les forces antiémeutes ne tiraient plus à balles réelles sur la foule, comme au temps de Pinochet : elles se contentaient de repousser les manifestants au canon à eau depuis les blindés avant de les matraquer. Des dizaines de blessés, huit cents arrestations, passages à tabac, menaces….. » (P. 12)
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« Extermination d’opposants politiques sans jugements ni procès : le concept avait été mis au point par les militaires français en Algérie avant que Washington ne généralise la méthode en Amérique du Sud. Avec l’aide d’agents de la CIA, Pinochet et ses généraux avaient, sous le nom de Plan Condor, étendu l’opération criminelle et secrète non seulement au Chili mais dans les dictatures voisines – Uruguay, Brésil, Argentine, Paraguay, Bolivie –, puis ils avaient poursuivi la traque dans le monde entier. » (P. 51)
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« Quand l’insupportable vous refuse le droit de mourir, tout le monde finit par parler. La souffrance physique et morale suintait de ses jeunes yeux, une faille indicible où les tortionnaires s’étaient engouffrés : il leur fallait des noms, des lieux de rendez-vous, les planques où se terraient ses compagnons, sous peine de redevenir un transfo électrique. Brisée, Manuela avait vendu son âme pour quelques promesses, pour que « ça » s’arrête.. » (P. 332)
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« À chaque kilomètre ou presque se dressaient des croix blanches et des couronnes de fleurs pour célébrer le dieu du pneu, du gasoil. » (P. 353)
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« Tout était à vendre au Chili. » (P. 382)
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« Il y a un âge où on fait plus le deuil : on meurt avec. » (P. 406)
Grand plaisir à revenir sur un des anciens de Caryl Ferry ! Son écriture se bonifie de livre en livre, pour moi, et son dernier , Lès, est très très bien !
Il vient d’entrer dans ma liste de livres à lire. Merci