« À l’abattoir » – Ovide Blondel

« Steve a envie de s’essayer à l’exercice, il a envie d’être acteur. mais pas devant une caméra. Dans la vie. Changer de peau. Il en a sa claque d’être spectateur. » (P. 66)

Steve est un beau gaillard de 130 kg qui chaque matin sur sa Motobécane…engin bleu ciel – les plus anciens s’en souviennent – qui a disparu de nos rues…va au boulot, à l’abattoir…Oui, c’est son boulot :

« Steve arme son pistolet, lui colle le canon juste derrière l’oreille; un bruit étouffé, sec. Des cris de bête, il s’effondre. Il agite encore la tête un instant, pris de soubresauts. Gigote, déjà mort sans le savoir, tandis qu’il bascule dans la fosse. »

Dans son abattoir, Steve est le premier maillon de cette chaine qui nous permet d’avoir des steaks dans nos assiettes. Un boulot pas tout à fait comme les autres. Un boulot de mort du matin au soir !

Sinistres crochets de la couverture…le bœuf mort y sera accroché et ne connaitra pas la suite de l’histoire. D’autres dans cette  chaine de mort découperont le bœuf. On n’en saura pas plus ou très peu…Aucun intérêt, en tout cas, ce n’est pas l’objet du livre.

J’ai hésité à inscrire ce titre dans la liste de mes vœux en réponse à la proposition « Masse critique » de Babelio. Sans doute parce que, à titre personnel, je suis de plus en plus gêné, perturbé, mal à l’aise chaque fois qu’on me sert un morceau de viande….je vois ce veau, cette belle vache, dans leur pré…et maintenant on me parle du climat et de son dérèglement! Ces sinistres crochets de la couverture me dérangeaient. 

J’ai hésité, et pourtant j’ai eu ce plaisir du lecteur – et j’ai été diablement perturbé- à entrer dans la tête de Steve , du plaisir à suivre sa vie, son évolution….évolution vers quoi me direz-vous…?

Un homme tout en contradictions, qui adore sa fille et le cinéma, un collectionneur d’affiches de cinéma, qui tapissent les murs de son petit appartement et qui de temps en temps, une vente par ci, une vente par là, améliorent l’ordinaire. Un collectionneur qui courre après une affiche rare. Sympathique loisir du soir.

Et demain matin, il faudra reprendre ce poste ! Retrouver ses potes de travail, pas tous bien clairs dans leur tête. On ne fait pas ce boulot sans être un jour ou l’autre dérangé. Diablement dérangé ! 

Alors pour se détendre, il va en forêt, dans sa vielle Renault R5, dort à la belle étoile enroulé dans son duvet…mais je ne vais pas tout vous raconter!

Oui Steve est sympathique, certes il ne fait pas un boulot que chacun aimerait faire, mais il faut bien le faire! Ça ou autre chose ! Heureusement qu’il se détend dans la forêt qu’il pensait bien connaître…jusqu’au jour où il découvre une petite maison habitée par une petite vieille, femme du garde chasse. Un autre monde, cruel également..je n’en dirai pas plus.

Ovide Blondel n’a pas tout imaginé, il s’est documenté, a consulté l’abattoir de Narbonne – où j’habite-, a sans doute été tracassé par ce qu’il a entendu, par ce qu’il a peut-être vu, peut-être par le dérangement de l’esprit de certains opérateurs  que ce travail peut génèrer.

« Il en a sa claque d’être spectateur. « …..

Un boulot dans lequel on donne la mort, certes à des bœufs….Toujours ? 

En tout cas, Babelio et Masse critique, Ovide Blondel et les Editions Cairn, que je remercie, m’ont offert un beau plaisir, un beau cadeau, ils m’ont dérangé, et ont remué encore un peu plus mes tourments personnels. Je les en remercie vivement.

Éditeur : Cairn – 2022 – 199 pages


Lien vers la présentation de Ovide Blondel


Quelques lignes

  • « A quoi servirait la vie si on n’amassait pas les rêves? » (P.16)
  • « La vie moderne n’est qu’une longue succession de moments perdus mis bout à bout. De longues tranches de temps gaspillées, prises sur le plaisir simple de la contemplation, de la déambulation sans objet, du partage. » (P. 31)
  • « C’est étrange comme un simple accident de la circulation, un trébuchement, peut modifier le cours d’une vie  […] Quelque chose a changé, un élément indéfinissable, un bousculement. » (P. 70)
  • « Et, à tout prendre, il se préfère dans la peau d’un salopard qui maîtrise ses actes plutôt que dans celle d’un nounours qui subit. » (P. 161)

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