
« L’Europe était comme la lumière d’une étoile brillant encore longtemps après la mort de l’étoile elle-même. » (P. 106)
Un miroir aux alouettes qui fait souvent la « Une » des journaux télévisés…Quelques images sur le corps d’un gamin noyé, quelques autres regards sur ces bateaux-poubelles surchargés ou sur les files de regards hagards, hommes et femmes mélés dans de longues files…et basta, on passe à autre chose, on passe aux démélés judiciaires d’un tel ou un tel, bla, bla….à une manif, puis après à cette nouvelle actrice qui, bla, bla …ou au prochain match de foot ou autre…mais tous ces réfugiés, on en parle bien moins longtemps…c’est devenu presque un poncif, un fait connu. Que peut-on y faire ? On se sent impuissant !
Voila nos journaux télévisés…nous sommes informés, nous en savons assez pour passer à la deuxième partie du programme de la soirée……notre indignation, si indignation il y a eu, est passée au deuxième plan, voire bien plus loin…..En route pour les divertissements abétissants !
Alors quand un auteur comme Rabih Alameddine m’a proposé un tel titre, j’ai de suite envisagé mon bonheur…d’autant plus qu’il ne choisit pas une réfugiée quelconque, non, il préfère choisir une personne transexuelle libanaise qui décide de gagner l’Europe.
Oui, Emma ou Mina est transgenre. Elle accueille en qualité de médecin des bateaux de réfugiés accostant sur l’ile de Lesbos, à quelques encablures de la Turquie. Elle est comme eux réfugiée et soigne les plaies du corps. En nous faisant partager sa vie, nous pouvons reconstituer ses inquiétudes, à partir des souvenirs de son passé qui lui reviennent à l’esprit…un esprit et une mémoire difficiles à soigner. Elle est enfin arrivée trempée jusqu’aux os, comme les autres, à Lesbos cette île grecque, cette porte de l’Europe où accostent les exilés venus de la Turquie ou de la Libye ou de plus loin encore.
Mina est médecin, et elle a toujours su que quelque chose n’allait pas dans son corps. Ce corps entrainant, de fait, des relations tendues – voire inexistantes avec les siens. Seule solution, gagner l’Europe qui lui paraît plus ouverte d’esprit.
Un roman dérangeant dans lequel se mêlent l’inaction de l’Union européenne, l’action des ONG – notamment suédoises – et des bénévoles. Un roman fait de vies perdues en mer, de ces vies qui espéraient atteindre l’Europe mais qui ont connu le danger, les bombardements, les guerres, et se confier à des passeurs et à leur business particulièrement juteux.
Exil, perte de leurs espoirs, voire des vies, se mêlent, ce qui permet au lecteur de d’interroger sur l’Homme, l’empathie. Impossible de rester indifférent.
Un roman dans lequels se mêlent les attentats de Paris, ceux connus par les Etats-Unis, la guerre civile au Liban….si on remonte en arrière dans les années 1970, …
Mais ces flux migratoires n’ont jamais cessé, toujours porteurs de drames humains. Un roman dérangeant, parce que nous nous sentons impuissants à titres personnels face à ces drames…dérangeant parce qu’il choisit une personne transgenre pour nous faire vivre ces drames, dérangeant quand nous lisons ces lignes bien au chaud dans nos fauteuils.
Éditeur : Les Escales – Traduction par Nicolas Richard – 2022 – 390 pages
Lien vers la présentation de Rabih Alameddine
Quelques lignes
- « …les commandos fonçaient avec leurs bateaux sur les réfugiés, utilisaient de longs couteaux fixés à des perches pour déchirer les bateaux pneumatiques , puis s’enfuyaiant. » (P. 62)
- « Quelques Africains subsahariens tapaient dans un ballon de foot, une partie entre les minitentes, chacune avec uen famille de réfugiés gardant l’entrée, de longues files de gens à ma gauche et à ma droite, et des flaques, de l’eau et de la boue partout.. Beaucoup de monde, ils étaient si nombreaux. Des familles, des hommes seuls, des enfants. Les garçons ont montré des Syriens, des Irakiens, des Afghans, des Iraniens, tant et plus. Des Nord-Africains d’Algérie, du Maroc, des Subsahariens du Mali, du Congo. Tout le monde fuyait tant de choses, le régime syrien, Daesh, les Talibans, les groupes terroristes aux sobriquets encore plus idiots. Des files d’attente partout, pour se faire enregistrer, pour la nourriture, pour les vêtements, pour les dons. Et des Blancs qui indiquaient le chemin aux piétons. » (P. 101-2)
- « Le Liban est le pays qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés syriens et le pays au monde ayant la proportion la plus importante de réfugiés. Dans un pays de quatre millions d’habitants, il ya avait plus d’un million de réfugiés, et leur nombre réel était sans doute plus proche d’un million et demi. » (P. 117)
- « Sa famille avait réuni tout son argent, son père, sa mère, deux de ses oncles, même sa grand-mère; tout était allé dans un pot commun pour l’envoyer en Europe.[…] Il étudierait, travaillerait dur, rembourserait largement ce que sa famille en lui d’argent et de foi » (P. 103)
- « Quoi qu’il en soit, les hommes de l’Armée syrienne libre combattaient aux côtés des extrémistes islamiques depuis que leurs financements avaient été coupés et qu’ils n’étaient plus approvisionnés tandis qu’entre l’Arabie Saoudite, le Qatar et d’autres États du Golfe, c’était à qui donnerait le plus d’argent à son groupe religieusement criminel chouchou. » (P. 127)
- « Nous tous qui croyons au progrès, au pluralisme, à la tolérance et à la liberté, allons aveuglément détruire leurs pays, briser leurs systèmes politiques, leurs économies, leurs infrastructures et créer des millions de réfugiés pour les génarations à venir. Bush a appelé cela combat pour la civilisation. » (P. 256)
- « Personne ne peut avoir tout ce qu’il faut ici » (P. 268)