
« Je me considérerai comme mort quand je serai mort en français. Car je n’existerai plus alors en tant que ce que j’ai voulu être, par ma souveraine décision d’épouser la langue française. » (première phrase de la préface du livre)
Souvent le lecteur que je suis, et je dois pas être le seul….ne prend pas la peine de lire la préface du livre…quelle erreur ! Comment ne pas être séduit par ces quelques mots?
« Âme brisée » et « Reine de cœur » m’avaient permis de rencontrer cet auteur, d’être séduit par ses textes…, un besoin de la le découvrir encore plus, de lire plusieurs de ses livres, presque à la suite et vérification faite, je venais de me rendre compte qu’ils n’avaient pas été traduits, mais écrits en Français…. une langue devenue, comme il aime à l’écrire « sa langue paternelle ».
Un apprentissage fait en lisant, non pas des ouvrages simples, mais en approchant Jean-Jacques Rousseau,….dans le texte ! Combien sommes nous à avoir approché cet auteur, ne serait-ce que quelques pages ? Jean-Jacques Rousseau, cet auteur qui ne nous avait pas séduit, sans doute parce qu’on nous l’avait mal présenté lors de nos études au lycée. On ne peut qu’être admiratif face à cette obstination, et bien plus encore quand cet auteur japonais nous permet de découvrir, bien plus que certains de nos profs de français, cette langue, notre langue, Jean-Jacques Rousseau!
Nous….je dis nous, car je ne pense pas être le seul….nous qui sommes sans doute incapables de mémoriser 10 idéogrammes japonais!
Le Français devenu pour Akira Mizubayashi sa langue paternelle…son père ayant tant fait pour lui permettre de comprendre, de parler le français, notamment en faisant l’acquisition d’un magnétophone destiné à Akira…et d’un violon pour son frère, violon qui a peut être inspiré Akira dans l’écriture d’Âme brisée…étrange !« J’ai le sentiment d’avoir profité, en tierce personne, du face-à-face de mon père et de mon frère pour m’éveiller à la musique. Et c’est peut-être cette musique-là, que je ne pratique pourtant sur aucun instrument, qui m’a acheminé vers cette autre musique qu’est la langue française. Quand je parle cette langue étrangère qui est devenue mienne, je porte au plus profond de mes yeux l’image ineffaçable de mon père; j’entends au plus profond de mes oreilles toutes les nuances de la voix de de la voix de mon père. le français est ma langue paternelle.»
Un texte profondément humain et intelligent, un texte qui fait très souvent référence à ce père, à sa soif de connaissance, à son besoin de transmettre le meilleur à ses enfants.
« Mais je me considérerai comme mort quand je serai mort en français. Car je n’existerai plus alors en tant que ce que j’ai voulu être, ce que je suis devenu de mon propre gré, par ma souveraine décision d’épouser la langue française. Il n’y aura jamais de divorce entre elle et moi. Jamais. Je ne souhaite pas vivre plus longtemps que mon français. Un jour de plus peut-être à la rigueur. » (Une des dernières phrases du livre)
Editeur : Gallimard -Folio – 2016 – 262 pages
Lien vers la présentation d’Akira Mizubayashi
Quelques lignes
- « Le japonais n’est pas une langue que j’ai choisie. Le français, si. Heureusement on peut choisir sa langue ou ses langues. Le français est la langue dans laquelle j’ai décidé, un jour, de me plonger. J’ai adhéré à cette langue et elle m’a adopté…C’est une question d’amour. Je l’aime et elle m’aime…si j’ose dire… » (P. 19)
- « J’errais dans les rues de Tokio avec un sentiment d’étouffement qui ne me lâchait pas : où que j’aille, partout je me sentais emmuré; l’espace de la prison n’en finissait pas de s’étendre. J’étais traqué dans une sorte d’inflation linguistique généralisée. Il fallait que j’entreprenne une tentative d’évasion. Le français m’est apparu alors comme le seul choix possible, ou plutôt la seule parade face à la langue environnante malmenée jusqu’à l’usure, la langue de l’inflation verbale qui me prenait en otage »(P. 25)
- « Bref , mon père était là dans toute sa splendeur, avec toute la puissance de son désir d’apprendre, de sa soif de connaissances, de sa volonté d’aller toujours plus loin et enfin de sa fougueuse et inépuisable passion pédagogique. Je me suis souvenu que c’était lui qui nous avait appris à nager, alors que lui-même ne savait pas. » (P. 55)
- « En passant d’une langue à l’autre, certains interdits tombent : un espace de liberté s’ouvre subitement. » (P. 101)
- « J’aimais en effet à recopier de belles pages de Rousseau et des textes de certaines critiques qui savaient parler à la littérature et la littérature. C’était un exercice qui ne me coûtait pas ; au contraire, j’y puisais du plaisir, un plaisir d’accompagnement, voire d’identification. Recopier un auteur, c’était pour moi assister à l’élaboration d’un discours, suivre le cheminement d’une pensée. » (P. 103)
-
« Car enseigner, c’est offrir la possibilité de se cultiver et de s’élever et se cultiver, c’est sortir de sa culture propre comme le dit quelque part Jacques Rancière. C’est dans cet état d’esprit que j’ai débuté dans l’enseignement; et c’est dans cet état d’esprit que je demeure. » (P. 224)
-
Mais je me considérerai comme mort quand je serai mort en français. Car je n’existerai plus alors en tant que ce que j’ai voulu être, ce que je suis devenu de mon propre gré, par ma souveraine décision d’épouser la langue française. Il n’y aura jamais de divorce entre elle et moi. Jamais. Je ne souhait pas vivre plus longtemps que mon français. Un jour de plus peut-être à la rigueur. » (Une des dernières phrases du livre)
Ado, j’avais développé une sorte de passion pour les écrits de Jean-Jacques Rousseau, mais des années après, il ne m’en reste pas grand-chose. Mais je suis très attirée par ce roman, autant par la présence de ce père qui a marqué l’auteur que son amour du français qu’il a choisi. Merci pour ton avis.