« ….on ne sait pas ce que c’est qu’une histoire tant qu’on n’a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter, comme les fantômes, nos fantômes qui s’accumulent et forment les pierres d’une drôle de maison dans laquelle on s’enferme tout seul, chacun dans sa maison, et quelles fenêtres, combien de fenêtres? » (P. 272)
C’est l’anniversaire de Marie-Jeanne. Bernard, ou « Feu de bois » pour les copains, a l’habitude taper tout le monde pour avoir de l’argent. Mais aujourd’hui il lui offre une broche en or nacré.
Comment l’a-t-il achetée? Est-ce l’argent de sa mère qu’il aurait pris avant qu’elle parte en maison de retraite?
Chefraoui se présente à la gendarmerie. En rentrant chez lui il a trouvé la mobylette de Feu de Bois. Mais celui-ci, surpris par la femme de Chefraoui a pris la fuite. Il s’en était pris au chien qui l’a mordu.
Bernard était, quant à lui, parti 28 mois vers les Djebels, comme des milliers d’autres pour faire la guerre en Algérie. Rares sont ceux qui en sont revenus sans aucune attitude raciste à l’égard de ces Algériens!
« Ce que c’est qu’être mineur, dépendant des parents, pas bon à voter mais déjà bon pour les djebels.«
Ils n’avaient pas 21 ans mais étaient bons pour le casse-pipe…Quelque soit la guerre !
Un racisme banal, entre ces soldats appelés français qui, en partant faire la guerre d’Algérie, ont sacrifié leur jeunesse, ont perdu des copains et les Arabes, arrivés en France, à l’issue de cette guerre.
Venus pour travailler sur les chantiers, dans les mines, dans les champs..
Je n’avais pas quinze ans mais je me souviens parfaitement de cette période ! Pourtant je n’habitais que dans une petite ville, dans laquelle ces algériens étaient facilement reconnaissables. Et rares. Mais ce racisme était dans l’air du temps. Normal
Chefraoui était venu travailler, à la mairie, il avait quitté l’Algérie, seul, sans femme ni enfants. Mais personne n’avait voulu qu’il soit le représentant du personnel de la mairie !
Relations entre deux hommes, deux conceptions que tout oppose, et rappel de cette période, des descentes dans les villages du Maghreb, des exactions, du racisme ordinaire.
« ..tu sais, on pleure dans la nuit parce qu’un jour on est marqué à vie par des images tellement atroces qu’on ne sait pas se les dire à soi-même. » …..ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent se l’imaginer… Personnellement je me souviens de réveils brutaux, de cris, d’amis chez qui j’avais dormi..
Toujours hantés mais à jamais secrets.
Éditeur : Minuit double – 2022 – Parution initiale en 2011 – 283 pages
Lien vers la présentation de Laurent Mauvignier
Quelques lignes
- « Monsieur le maire, vous vous souvenez de la première fois que vous avez vu un Arabe? Monsieur le maire, vous vous souvenez? Est-ce que vous vous souvenez? Est-ce qu’on s’en souvient ? Que quelqu’un ? Est-ce qu’on se souvient de ça? » (P. 77)
- « Mais tout le monde a dû avoir des pensées un peu malsaines, en cachette, pour lui-même, se croyant seul à les avoir ruminées des années tout seul, bien enfouies dans les plis des souvenirs, dans les recoins, les ombres, marécages, eaux dormantes, ou bien seulement entre amis avec un petit coup dans le nez. » (P. 88)
- « Il aurait dû prévoir le coup et s’arranger avec quelqu’un d’autre. Il s’est laissé prendre de vitesse, au dépourvu, il repasse l’image de sa mère prenant la parole pour qu’on fasse le chèque à son nom à elle, puisqu’elle a le compte de la famille. Bernard n’a pas de compte, Il en aura un lorsqu’il sera majeur et qu’il travaillera vraiment et pas comme il fait, d’aider à la ferme ou de donner des coups de main chez les voisins . Mais c’est elle qui tient l’argent. Elle que l’on paye lorsqu’il fait un travail chez les voisins ; il ne paye pas de loyer chez elle ; il ne lave pas son linge non plus; il est normal que ce soit elle qu’on paye pour son travail à lui. Quand il sera majeur, ce sera différent. » (P. 121)
- « La vérité c’est que le passé, le passé on n’en parle pas. Il faut continuer, reprendre, il faut avancer, ne pas remuer. Et lui, il était resté seul à les entendre dire et redire, comme une incantation ou une prière, ce bout de phrase. » (P. 253)
- « ….on ne sait pas ce que c’est qu’une histoire tant qu’on n’a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter, comme les fantômes, nos fantômes qui s’accumulent et forment les pierres d’une drôle de maison dans laquelle on s’enferme tout seul, chacun dans sa maison, et quelles fenêtres, combien de fenêtres? » (P. 272)