« L’homme qui aimait les chiens » – Leonardo Padura

L'homme qui aimait les chiensLe destin croisé de 3 hommes qui, chacun, aimaient les chiens

Ivan aurait aimé être écrivain, mais le régime cubain n’ayant pas trouvé ses nouvelles « conformes » à l’esprit révolutionnaire l’a poussé à devenir vétérinaire. Il se lit d’amitié avec un homme âgé qui promène régulièrement ses 2 barzoïs sur la plage, cet homme lui confiera un manuscrit…Ramon est un jeune combattant communiste de la guerre d’Espagne, il aurait aimé combattre contre les troupes franquistes, mais les dirigeants du Parti ont d’autres projets pour lui. On le retrouve dans un camp d’entrainement en Russie, entrainement commando d’une part au cours duquel on lui demande afin de prouver sa fidélité au Parti de tuer froidement un vagabond, « entrainement » ou plutôt mise en condition psychologique d’autre part, afin de faire de lui une machine à tuer, avec n’importe quoi, une machine prête a tout, sans état d’âme, sur ordre : « ce puzzle fait d’infamie et de tonnes de manipulation et de dissimulation, autant de composantes qùi définirent l’époque et façonnèrent l’action de Ramin Mercader ». Il découvre que son ami d’un jour peut devenir son assassin demain.

Trotski enfin, expulsé d’URSS sur ordre de Staline, obligé de fuir en Turquie, puis à Paris, en Norvège puis au Mexique. Il sait qu’il sera un jour ou l’autre éliminé, comme tous les opposants de Staline. Il aura lui aussi, dans chacun des exils un chien, un bâtard qui sera son compagnon de travail.

Chacun connait la fin sans surprise, Ramon tuera Trotski, mais l’ouvrage de Padura nous transporte dans l’URSS dirigée par Staline, un Staline éliminant ses opposants, mais aussi ceux qui l’ont servi, Staline s’alliant avec Hitler : « Le camarade Staline a besoin de temps pour reconstruire l’Armée rouge. Espions, traités et renégats, il a fallu purger trente-six mille officiers de l’armée et quatre mile de la marine. Il n’y a pas d’autre remède que fusiller treize des quinze commandants en chef, et se débarrasser de plus de soixante pour cent des cadres » . Staline, gardant en URSS un membre de la famille des exilés, y compris de ceux qui ont été contraints de le faire, afin de peser sur eux, sur leur parole, à distance. Une plongée fascinante dans ce régime.

Une description du régime cubain, de sa censure, un régime dans lequel l’homosexualité est un délit réprimé.

De retour des prisons cubaine, Ramon Mercader, retrouvera l’URSS en cours de déstalinisation, un pays triste, dans lequel la liberté de parole est toujours contrainte. Un régime qui lui offrira à son retour de prison une montre qui le tuera et qui acceptera qu’il finisse ses jours à Cuba ou il arrivera en 1974. Il y mourra du cancer provoqué par sa montre, sans jamais avoir eu le droit de revoir son Espagne natale.

Des chapitres qui s’entrecroisent pas toujours chronologiquement. On doit parfois jongler avec les noms, les noms d’emprunts donnés à Ramon ou à ses chefs selon les situations, les pays, les dates.

Ce roman s’appuyant sur des faits historiques raconte en fait, au travers de ces trois vies croisées, l’histoire du désespoir de communistes sincères qui ont vu s’effriter puis s’effondrer leur idéal révolutionnaire, en Espagne, en Russie, à Cuba. « L’Union Soviétique léguerait aux temps futurs son échec et la peur de plusieurs générations en quête d’un rêve d’égalité qui, dans la vie réelle était devenu le cauchemar de la majorité »

Un livre sur leur déception d’hommes face à tant de cynisme, à tant de mensonges et de manipulations, face à cette immense tromperie.

Un plaisir de lecture


Plus sur Leonardo Padura


Extraits

  • « Nous savions parfaitement que l’on attendait de nous une fidélité absolue, davantage de sacrifices, d’obéissance, et encore plus de discipline » (P. 87)
  • « L’estocade donnée par Moscou fut le plus clair avertissement qu’il serait condamné à une guerre sans fin et que la moindre parcelle de paix ne lui serait jamais accordée » (P. 116)
  • « La principale qualité qui distingue Staline, c’est la paresse; la seconde, c’est la jalousie sans limite envers ceux qui savent , où sont susceptibles d’en savoir plus que lui. Même contre Lénine, il a fait un travail de sape » (Boukharine – P. 118)
  • « Et quand bien même ce serait un mensonge, nous le transformerions en vérité. Et c’est cela qui compte : ce que les gens croient » (P. 202)
  • « L’Union Soviétique lèguerait aux temps futurs son échec et la peur de plusieurs générations en quête d’un rêve d’égalité qui, dans la vie réelle était devenu le cauchemar de la majorité » (P. 226)
  • « Le mensonge le plus grossier dit et répété maintes fois sans que personne ne le démente finit par se transformer en vérité » (P. 228)
  • « Des hommes comme Romain Rolland proclamaient l’intégrité de STALINE, certifiaient que le Guepeou utilisait des méthodes humaines pour obtenir des aveux, et allaient même jusqu’à démentir l’existence de la répression intellectuelle en URSS » (P. 299)
  • « La terreur et la répression devenaient la politique d’un gouvernement qui faisait de la persécution et du mensonge des institutions d’Etat et un style de vie pour l’ensemble de la société » (P. 300)
  • « Les pièces de ce puzzle fait d’infamie et de tonnes de manipulation et de dissimulation, autant de composantes qùi définirent l’époque et façonnèrent l’action de Ramin Mercader » (P. 373)
  • « Le camarade Staline a besoin de temps pour reconstruire l’Armée rouge. Espions, traités et renégats, il a fallu purger trente-six mille officiers de l’armée et quatre mile de la marine. Il n’y a pas d’autre remède que fusiller treize des quinze commandants en chef, et se débarrasser de plus de soixante pour cent des cadres….il ne pouvait pas se permettre qu’il nous arrive la même chose qu’à vous en Espagne » (P. 386)
  • « A chacun d’eux si convaincus des bienfaits du régime, Lev Davidovich aurait voulu proposer une épreuve : il les ferait vivre avec leur famille dans une pièce de six mètres carrés, mal chauffée, sans voiture, obligés à travailler dix heures par jour pour gagner une émulation qùi n’apporterait rien, à se nourrir et a s’habiller avec ce que leur attribuait le livret de rationnement, avec un salaire de quelques roubles dévalués et sans la moindre possibilité, non pas de se rendre à l’étranger, mais d’élever la voix. Si au bout d’un an, ils défendaient encore ce projet et affichaient de grands principes philosophique, alors ils les enfermerait une autre année dans une des colonies pénitentiaires que Gorki considérait comme les fabriques des hommes nouveaux…ce serait l’épreuve de vérité, certes excessive, dit-il, et on verrait bien combien de Rolland ou d’Aragon brandiraient encore la bannière de Staline dans un restaurant parisien. » (P. 413)
  • « La vengeance de l’histoire est généralement plus puissante que le plus puissant des empereurs ayant jamais existé » (P. 450)
  • « Beaucoup, comme lui, se verraient obligés de reconnaître qu’il ne fallait pas chercher les racines du stalinisme dans le retard de la Russie ni dans l’hostilité impérialiste ambiante, mais dans l’incapacité du prolétariat à devenir une classe gouvernante. Il faudrait admettre que l’URSS n’avait été que le pays précurseur d’un nouveau système d’exploitation et que sa structure politique devait inévitablement engendrer une nouvelle dictature, parée tout au plus d’une autre réthorique » (P. 455)
  • « Sa présence ne serait pas vue d’un bon œil non plus, car il n’était en fin de compte qu’une des évidences dérangeantes de ce stalinisme auquel le pays essayait d’échapper en le diabolisant » (P. 610)
  • « Ce pays est isolé du monde et nos chefs se sont chargés de diaboliser tout ce qui est hors d’atteinte de leur pouvoir, c’est à dire tout ce qui a un lien avec ces maudits étrangers. Souviens toi que pour des contacts non autorisés avec des étrangers, Staline pouvait te faire fusiller ou t’envoyer cinq ou dix ans au goulag. Le génie du peuple russe tient dans sa capacité de survie. C’est pour cela que nous avons gagné la guerre. » (P. 612)
  • « Penser est un luxe interdit aux survivants….pour échapper à la peur, le mieux a toujours été de ne pas penser. Tu n’existes pas. » (P. 612)
  • « Staline a tout perverti, et il a obligé les gens à se battre et à mourir pour lui, pour ses propres besoins, pour sa haine, pour sa mégalomanie. » (P. 617)

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