« Ma mère et moi » – Brahim Metiba

Ma mère et moiDifficile communication entre une mère et son fils. L’amour les rassemble, mais ces mots d’amour ne sont jamais dit, et tant de choses les séparent : elle aimerait qu’il se marie avec une musulmane, qu’il ait une vie conforme à la culture dans laquelle elle l’a élevé, mais il est homosexuel. Il est intellectuel, mais elle ne sait pas lire. Ils parlent, mais ne se parlent pas, s’entendent mais ne s’écoutent pas. Un dialogue impossible entre eux deux : « Ma mère me dit« …. »Je lui dis« . Alors pour essayer de créer ce dialogue, et d’instaurer un début de communication, il lui lit « Le livre de ma mère » d’Albert Cohen, le livre d’un auteur juif lu à une femme musulmane : « Je me dis que ma mère pourrait trouver une phrase chez la mère d’Albert Cohen, et qu’elle comprendrait enfin ».

Un roman qui s’étend sur une vingtaine de jours, des jours pendant lesquels la lecteur assiste à cet amour, à cette tentative et à cet échec.
« Je pense à la distance qui me sépare de ma mère. Je pense à la difficulté de changer de regard. Je me demande si ma mère en est capable. Je me demande si elle a le temps de le faire. Je me demande si j’ai le droit de lui demander de changer de regard. Je me demande si je ne perd pas mon temps, si mon projet peut aboutir. »(P. 44)
Quand la mère prend la parole, c’est pour mieux dire qu’elle ne comprendra jamais rien à son fils. Fils qui parallèlement admet : « Je ne trouve pas de mots pour parler à ma mère. Les mots de son langage n’expriment pas ma vie. Les mots de mon langage n’entrent pas dans son système. Elle ne les comprend pas. Je décide d’aller au bout du « Livre de ma mère ». Je me dis qu’il pourrait y avoir quelque chose, à la fin. » 
Un livre sur la difficulté de faire changer les autres mais aussi sur la difficulté de changer son regard. Chacun pense être sur la bonne voie, est persuadé de détenir LA vérité, et aucun n’est finalement vraiment ouvert au dialogue. Si le dialogue ne se fait pas c’est toujours la faute de l’autre, toujours à l’autre de changer de regard. Air bien connu des conflits de génération, des conflits nés de différences de culture, de différences sexuelles, etc., conflits qui n’interdisent pas l’amour. A aucun moment le narrateur ne s’interroge sur son attitude.

Roman…oui, mais il y a tant de familles, tant de situations dans lesquelles cette communication est impossible, dans laquelle elle va jusqu’à la fracture définitive entre parents et enfants. 


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Quelques extraits
  • « Elle demande si je veux manger. Je dis : « Non ». Je dis que si, elle cuisine très bien. Elle dit que mon père ne le dit jamais. Ma mère veut savoir ce que signifie la phrase où Albert Cohen dit :  » Elle était si adroite pour la cuisine, si adroite pour le reste. » Je dis que je ne sais pas , que le reste est peut-être l’amour, dans sa démonstration. Ma mère me regarde » (P. 16)
  • « Ma mère dit : « Le vrai Dieu, c’est notre Dieu ». Je dis que ça fonctionne pour tout Dieu. Elle dit : « Non ». Je dis « Si » (P. 22)
  • « Je dis que je souhaite la retrouver, que je veux discuter avec elle, que nos systèmes s’excluent mutuellement et que nous ne sommes jamais ensemble. Ma mère n’arrive pas à répéter « s’excluent ». Le « x » traîne à venir, le « c » arrive trop tôt. Elle demande ce que ça signifie. Je dis « c’est étouffant ». Ma mère dis « mais nous sommes ensemble. Je dis « Non » (P. 40)
  • « Ma mère demande pourquoi j’ai du mal avec le « nous » lorsque je parle des musulmans. Ma mère dit pourtant que c’est plus simple, il y a « nous », puis il y a « eux », les autres, les non-musulmans, les juifs par exemple. (P. 41)
  • « Je pense à la distance qui me sépare de ma mère. Je pense à la difficulté de changer de regard. Je me demande si ma mère en est capable. Je me demande si elle a le temps de le faire. Je me demande si j’ai le droit de lui demander de changer de regard. Je me demande si je ne perd pas mon temps, si mon projet peut aboutir. »(P. 44)
  • « Celui qui parle dit que nous ne parlons pas. Il ne me parle pas. C’est lui, le spécialiste des mots. S’il ne trouve pas ses mots, je ne peux pas l’aider. Moi je n’ai pas besoin de parler, je l’observe et je sais. Je l’ai nourri, habillé, surveillé. Je lui ai appris tout ce qu’il sait. Je sais qui sont K, E et B. Celui qui parle veut que je parle comme lui. Je ne comprends rien à ce qu’il dit, et je n’ai pas besoin de comprendre. Je n’ai pas besoin de comprendre parce que je vois. Je vois celui qui parle, je vois ce qu’il fait, ses manières, sa façon de parler. Je vois son regard. Je suis musulmane et vieille. Celui qui parle à changé. Il ne veut pas se marier, il dit qu’il veut vivre avec un homme qu’il présente comme son ami. Je ne sais ni lire ni écrire, mais je sais qui est celui qui parle. Je sais qui est ami et qui ne l’est pas. Je ne comprend rien à ce qu’il me dit. Je sais qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Je veux voir mon fils marié, et de préférence avec une musulmane. Je n’accepterai jamais un autre Dieu, une autre façon de se marier et je ne veux pas en parler. Ma vie, c’est de cuisiner pour mon mari et mes enfants. Celui qui parle n’a pas besoin de parler. Je suis vieille, je veux simplement lui faire à manger, le voir satisfait, et savoir qu’il est en bonnes santé. Je suis vieille, je ne peux pas changer d’avis mais celui air le est mon fils et sera toujours mon fils » (P. 45-7) 
  • « Ça me fatigue d’entendre les uns et les autres parler de « vérité » de « sens » et de « Dieu » comme si les uns avaient compris là où les autres auraient échoué. Je ne peux pas m’attaquer à tout le monde, d’ailleurs tout le monde ne m’intéresse pas. Alors j’essaie de créer un cadre où au moins ma mère, parce que c’est elle qui m’intéresse le plus et que mon éloignement d’elle le plus douloureux, se remettrait en question, pour qu’elle m’accepte enfin. Pour qu’elle accepte que je puisse donner à « vérité », « sens », « bonheur » et vie d’autres sens que ceux qu’elle utilise. J’essaie de secouer ma mère dans ses certitudes. Pour qu’elle accepte que je ne puisse pas désirer les femmes et que ça ne changera pas, que j’aime les hommes et que ça ne changera pas. Mais ce n’est pas possible. Ma mère le sait. C’est pour cette raison qu’elle ne veut pas discuter, qu’elle ne veut pas se placer sur le plan des idées et des mots » (P. 53)

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