
Dans ces deux romans un gamin est mis en scène. Un gamin de quatorze ans qui a fui sa famille et dont on ignorera jusqu’au bout le prénom. Un gamin seul avec un ou des adultes, confronté à un monde de violence, cherchant à échapper à cette violence dans « La Route », aspiré par elle au contraire dans « Méridien de sang ». Un gamin face à un monde nouveau, le monde survivant à notre monde actuel, après une catastrophe, dans « La Route », et le Nouveau Monde, recherché par des colons à la recherche de terres vierges dans ces immensités désertiques de l’Amérique du Nord du XIX ème siècle dans « Méridien de Sang ». Un roman dans lequel des hommes blancs détruisent systématiquement la civilisation indienne, hommes, femmes, enfants et également bisons, pour permettre à des colons de s’installer, sauvagerie indienne contre sauvagerie blanche, scalps contre scalps, flèches contre balles, massacres contre massacres, sordide contre sordide. Un monde de violence également entre les membres du groupe, une horde dans lesquels les hommes ne reculent devant aucune bagarre, aucun coup bas, aucun crime.
J’ai été emporté par ces phrases longues décrivant ces paysages nord-américains, et par le vocabulaire riche, mystique parfois quand il fait référence à la Bible. J’ai été souvent très perturbé par ces descriptions parfois difficilement soutenables de cette violence, qui en rappelle d’autres plus actuelles, dans d’autres lieux, sous d’autres cieux.
Quelques extraits
« Jamais le père ne prononce son nom, l’enfant ne le connaît pas. Il a en ce monde une sœur qu’il ne reverra pas. Il observe, pâle et pas lavé. Il ne sait ni lire ni écrire et déjà couve en lui un appétit de violence aveugle. Toute l’histoire présente en ce visage, l’enfant père de l’homme. » (P. 9)
« Tu peux trouver du vice chez la moindre des créatures , mais quand Dieu a créé l’homme , le Diable était à son côté. Une créature qui peut faire n’importe quoi. Faire une machine. Et une machine pour faire la machine. Et le mal qui peut tourner tout seul pendant mille ans, pas besoin de s’en occuper. Tu le crois ? » (P. 29)
« Toadvine le regardait. Le collier d’oreilles humaines qu’il portait ressemblait à une guirlande de figues noires séchées. Il était grand et d’aspect brutal et il avait la paupière pendante là où les petits muscles avaient été sectionnés d’un coup de couteau et il avait un équipement de qualité disparate alliant le meilleur au minable. Il était chaussé de bottes noires et arme d’un élégant fusil à garniture de maillechort mais le fusil était passé dans une tige de botte crevée et sa chemise était en lambeaux et son chapeau était rance. » (P. 112)
« Les dons du Tout-puissant sont pesés et partagés sur une balance faite spécialement pour lui. C’est pas une comptabilité équitable. » (P. 156)
« Je voudrais pas aller contre les Saintes Écritures mais qui sait s’il y a pas eu des pécheurs tellement endurcis dans le mal que les flammes les ont rejetés et je pourrais sans peine imaginer qu’en des temps très anciens des petits démons se sont élancés avec leurs fourches à travers ce vomi incandescent pour reprendre possession des âmes qui avaient été recrachées par erreur de leur lieu de damnation et rejetées sur les bords extérieurs du monde. Oui. C’est une idée, rien de plus. Mais quelque part dans l’ordre des choses ce monde-ci doit rejoindre l’autre » (P. 166).
« Le peuple qui vivait ici autrefois s’appelle les Anasazis. Les anciens. Ils ont abandonné ces régions, chassés par la sécheresse ou la maladie ou par des bandes errantes de pillards, abandonné ces régions depuis des siècles et il n’y a d’eux aucun souvenir. Ce sont des rumeurs et des fantômes dans ce pays et ils sont hautement vénérés. Les outils, l’art, la maçonnerie, tout cela porte condamnation des races qui sont venues après. Mais il n’y à rien à quoi elles peuvent se raccrocher. Les anciens s’en sont allés comme des fantômes et les sauvages rôdent à travers ces canyons au son d’un antique ricanement. Dans leurs huttes grossières ils sont tapis dans l’obscurité et ils écoutent la peur qui suinte de la roche. Tout mouvement d’un ordre supérieur à un ordre inférieur est jalonné de ruines et de mystères et des déchets d’une fureur aveugle. Voilà. Ici sont les ancêtres morts. Leur esprit est enseveli dans la pierre. Il repose sur cette terre avec le même poids et la même ubiquité. Car quiconque se fait un abri de roseaux et de peaux de bêtes s’est résigné dans son âme à la commune destinée des créatures et il retournera à la boue originelle avec à peine un cri. Mais celui qui bâtit avec la pierre s’efforce de changer la structure de l’univers et il en était ainsi de ces maçons aussi primitives que leurs constructions puissent nous paraître. » (P. 185).
« Des soldats armés de mousquets tenaient la foule à distance et les jeunes filles contemplaient les Américains de leurs immenses yeux noirs et les garçons se faufilaient pour toucher les sinistres trophées. Il y avait cent vingt-huit scalps et huìt têtes et l’adjoint du gouverneur et sa suite descendirent dans la cour pour accueillir les mercenaires et admirer leur ouvrage. On leur promit le paiement intégral en or au souper…. » (P. 211)
« Cavaliers fantômes, pâles de poussière, anonymes dans la chaleur crénelée. Avant tout on eût dit des êtres à la merci du hasard, élémentaires, provisoires, étrangers à tout ordre. Des créatures surgies de la roche brute et lâchées sans nom et rivées à leurs propres mirages pour s’en aller rapaces et damnées et muettes rôder comme les gorgones errant dans les brutales solitudes du Gondwana en un temps d’avant la nomenclature où chacun était tout. » (P.218)
« C’est vrai que les Saintes Écritures considèrent la guerre comme un mal. N’empêche que c’est plein de sang et d’histoires de guerre dans la Bible. » (P. 312)
« Pas un assassin s’écria le juge. Et pas un partisan non plus. Il y a un défaut dans la texture de ton cœur. Crois-tu que je ne m’en suis pas aperçu ? Toi seul tu te rebellais. Toi seul tu gardais dans ton âme un peu de pitié pour les païens » (P. 373)
« J’ai vu des chariots Studebakers traînés par six ou huit équipes de bœufs qui se dirigeaient vers les parcours de chasse sans rien transporter d’autre que du plomb. Rien que de la galène pure. Des tonnes de galène. Rien que sur ce terrain-ci entre l’Arkansas et le Conchoïde il y avait huit millions de carcasses car c’est huit millions de peux qu’on a amené au terminus du chemin de fer. Y a deux ans on est parti de Griffin pour une dernière chasse. On a ratissé tout le pays pendant six semaines. On a fini par trouver une harde de huit bêtes et on les a tuées et on est rentré. Ils ont disparu. Fini. Tous jusqu’au dernier que Dieu avait créés ils ont disparu comme s’il y en avait jamais eu un seul. » (P. 395)