
Elle brave les interdits en passant des nuits avec Armand, son ami. Femme, elle n’a pas le droit d’être avec un homme avec lequel elle n’est pas mariée…La seule solution qui s’offre à elle, c’est de quitter l’Iran, de se marier avec un étranger, qu’elle n’aimerait pas, et d’obtenir un visa. « Je sais pourquoi j’accepte ce mariage arrangé : parce que tout simplement, ça m’arrange. »
Oui, mais Donya est foncièrement honnête avec les autres et avec elle-même…Elle n’a jamais accepté l’hypocrisie et le mensonge du régime, tous les mensonges, toutes les hypocrisies, la turpitude.
Une autre femme, mal dans sa peau, va chez un psy, après une tentative de suicide et une hospitalisation en psychiatrie. Une jeune femme qui ne sait plus trop qui elle est. Elle est la file d’un père qui ne l’a jamais aimé, il avait quarante femmes, il a été lui aussi persécuté par le régime…Elle vit de petits boulots au noir à Paris.
Nous suivrons ces deux femmes tout au cours du livre, grâce à une alternance de chapitres, passant ainsi du divan du psy, de ses « oui..je vous écoute… » laconiques à Bandar Abbas, ville iranienne où vit Donya, à ses trafics, ses mollahs ou à Téhéran, des interdits religieux et de la torture, des viols et de la prostitution aux blocages et au silences chez le psy.
Deux femmes ou une seule ? Quand on d’abord lu « Comment peut-on être français », il n’y a plus de mystère
Chahdortt Djavann dénonce ce régime des ayatollahs, son hypocrisie, sa violence, et le mensonge de la psychanalyse et des psychanalystes, faisant payer très cher leurs « Oui, je vous écoute… » leurs « Pouvez-vous préciser.. », leurs silences, l’hypocrisie de certains aussi, leur écoute distraite, leur appât du gain. Une certaine forme de dérision qui indignera le lecteur et qui le poussera presque à sourire…jaune des situations.
Certains dans le monde soignent leur détresse en se battant au péril de leur vie et de leur liberté. l’Occident soigne ses détresses sur les divans de (presque) charlatans. Un regard acerbe sur ces deux mondes.
Ce roman (ou cette autobiographie partielle? ) se lit avec plaisir et rapidement malgré son nombre de pages. On ne peut qu’être admiratif devant la force de caractère de cette jeune fille débarquant à Paris, vivant de petits boulots, qui apprend le français dans le dictionnaire et le Lagarde et Michard.
Chahdortt Djavann, jamais mièvre dans ses écrits, est une battante qui force l’admiration du lecteur. Elle se décrit ainsi : « Mais, à bien y réfléchir, ce qui a fait vraiment de moi un écrivain, c’est ma grande capacité à survivre aux chocs, à jouir des pires souffrances et à me reconstituer après chaque anéantissement. »
À découvrir
Connaitre Chahdortt Djavann
Quelques extraits
« On imagine mal, voire pas du tout, l’effort qu’il faut à ceux qui ont grandi dans des ghettos pour en sortir. » (P. 23)
« Selon la charia en application en Iran, la femme est juridiquement inférieure à l’homme, éternelle mineure dont la vie vaut la moitié de celle de l’homme, elle-même ne valant pas grand-chose. En écrasant les femmes, la moitié de la population, en inculquant aux hommes l’idée de la supériorité masculine, en leur accordant quelques piètres droits, notamment le pouvoir de tutelle sur celles-ci, les dirigeants étaient parvenus à instaurer un climat de hiérarchie, de frustration et de haine entre les deux sexes. » (P. 68)
« Peux-tu me dire comment, mathématiquement, il est possible que tous les garçons de ce pays aient des relations sexuelles multiples, alors que toutes les filles de ce pays prétendent être des vierges invétérées ? Soit vous êtes des pédés ou des zoophiles, soit au moins la moitié des femmes de ce pays sont des putes professionnelles. » (P. 74)
« La mer dans laquelle les filles n’ont pas le droit de se baigner. » (P. 85)
« Si Paris valait bien une messe, Londres valait bien un mariage ! Après tout le mariage existait. » (P. 103)
« La famille de Dara lui avait achète son service militaire. Ceux qui avaient quitté le pays sans avoir fait la guerre Iran-Irak devaient racheter au prix fort leur fuite à l’étranger. Son père avait payé une somme faramineuse ; il ne risquait plus rien et n’était pas accuse de désertion. » (P. 139)
« De toutes celles qui sont en moi je ne sais pas laquelle est moi. J’ai dû me diviser, inventer des subterfuges, fuir, nier, annuler. J’ai du m’absenter de moi même….Je ne sais qui je suis…Je ne suis personne….Je n’ai même pas une identité….je suis un sac de nœuds….Inextricable. Je ne sais par quel bout m’y prendre. Et puis je me sens menacée….par le monde extérieur….et par ce qui se passe en moi… » (P. 185)
« L’isolement qu’on ressent à Paris vous pousse au désespoir le plus noir, au suicide. » (P. 288)
« – Quelle est la différence entre elle et vous?– Mais pourquoi me posez-vous une pareille question ? C’est évident , Non ? Elle subissait tout ça et moi j’en étais témoin, c’est tout. Ce n’est pas la même chose, et puis ce n’est pas mon histoire. C’est la sienne.– Et qu’elle est la vôtre ? Insista le psy pour la faire revenir à la réalité….– La mienne n’est pas la sienne. Ça n’a rien à voir. A chacun son histoire. Moi je m’inquiétais pour elle….Je croyais que vous l’écoutiez depuis le temps que je vous parle. » (P. 322)
« …quelle désolation lorsque la vie et le monde des femmes se résument aux tissus et aux bijoux. Aussi stupide que ce fût, elle préférait la pauvreté à cette richesse là ; au moins, dans la pauvreté, on peut cultiver un esprit de poète, alors que la richesse sans culture, sans raffinement, tue ce qui peut exister d’humain chez l’être humain. » (P. 336)
« Que peut-on faire dans un pays où ceux qui vont ont violée peuvent vous condamner à mort parce que violée. » (P. 485)