« Brothers » – Yu Hua

brothersLi Guangtou et Song Gan sont deux gamins qui deviendront « frères » quand leurs parents, veufs tous deux se rencontreront, s’aimeront et se marieront. Deux galopins qui se promettent assistance et des liens indéfectibles, à la vie, à la mort se créent entre eux.
Li Guangtou est un petit taureau trapu, hâbleur, rustre, canaille et farceur, Song Sang est plus mesuré, plus droit. C’est le plus grand des deux. Ils vivent dans le Bourg des Liu, village de cette Chine pauvre, et sale d’avant la Révolution Culturelle. Cette dernière va tout bouleverser, va les rendre orphelins. Ils devront affronter les enfants de ceux qui ont tué leur père Song Fanping, accusé par les Gardes Rouges d’être un propriétaire terrien, ils devront se battre, utiliser cette technique du balayage qui faisait son invincibilité et qu’il leur a enseigné avant de mourir…

Après cette Révolution culturelle violente, cette Chine s’est éveillée, elle est progressivement devenue cette Chine que nous connaissons, cette Chine un peu folle, riche en Milliardaires faisant de l’argent avec tout.

Je n’en dirais pas plus afin de ne pas dévoiler la trame de l’histoire dont les deux frères seront les personnages principaux. D’autres personnages plus secondaires allant de Tong le forgeron à Yu l’arracheur de dents en passant par Liu l’écrivain, Zhao le poète et d’autres dont Liu l’écrivain vous accompagneront tout au long du livre. 
N’oublions pas non plus le beau postérieur de Mademoiselle Lin Hong qui fera basculer toute l’histoire…
Brothers est un pavé de 700 pages, que j’ai lues avec bonheur, des pages qui alterne un humour gouailleur, scatologique pendant les premières pages, qui ne doit pas dérouter le lecteur, un humour beaucoup plus fin aussi, et des pages dures, violentes, décrivant cette Révolution culturelle, ce basculement, puis cette violence du monde des affairistes prêts à tout pour quelques yuans.
La lutte des classes change de visage
A partir de là, au cours de cette deuxième partie du livre, le récit s’emballe. Cette Chine qui vivait au rythme des charrettes à bras, s’ouvre au modernisme, et au monde et découvre la collusion entre les hommes de l’Administration communiste et le monde des affairistes sans scrupule, nés de leurs rangs parfois. Les vieux villages dont les maisons appartenaient à l’État sont détruits afin des immeubles modernes, loués par des promoteurs privés soient construits. La Chine dans laquelle de très riches côtoient les plus pauvres est née : le vélo que l’on attendait plusieurs années et qui faisait la fierté de son propriétaire est supplanté par les Santana puis par les BMW et Mercédès
Cette évolution économique et politique s’accompagne d’une évolution des meurs, d’une évolution des mentalités, que tous ne peuvent suivre. La naïveté de certains, en Chine et ailleurs est exploitée par des charlatans sans scrupule qui leur vendent des contrefaçons, des pilules miracles, des concours de beauté, qui reconstruisent des hymens, ou les vendent en sachets….Auto dérision garantie.
Ces 700 pages d’humour, de drame, d’amour, de violence, d’immoralité aussi sont autant de clins d’œil à l’histoire de la Chine, à ses traditions. Yu Hua, utilise souvent les petits mots chers à Mao, les situations décrites par d’autres auteurs classiques chinois. Alors les renvois vers les pages de références sont culturellement enrichissants et ne doivent pas être négligés. Loin de là. 
Yu Hua écrit dans sa postface de Brothers : « Seul un occidental qui aurait vécu quatre cents ans aurait pu vivre deux époques aussi dissemblables , quand il n’aura fallu que quarante ans pour les connaitre toutes les deux. Quatre cents ans de bouleversements résumés en quarante années, l’expérience n’a pas d’équivalent. C’est donc un couple de frères qui fait le lien entre les deux époques : leurs existences se fissurent dans un monde qui se fissure, leurs joies, leurs peines explosent dans un monde qui explose, leurs destins sont emportés dans les bouleversements de ces deux époques, et finalement, ils sont contrains de récolter ce qu’ils ont semé, dans un mélange d’amour et de haine. »

Alors oui, si vous souhaitez mieux connaitre cet immense pays, tentez ce long voyage, vous ferez un Grand Bond en avant 


Qui est Yu Hua


Quelques lignes
  • « Les gardes rouges qui venaient de faire irruption, eux, se conduisirent comme des loups dans une bergerie, ou des chiens dans un poulailler. Ils brisèrent la vaisselle en la jetant par terre, cassèrent les baguettes et les jetèrent par terre. Tandis qu’ils fouillaient, il se remplissaient les poches, et ils trouvaient encore le temps de s’interroger les uns les autres sur leurs découvertes. » (P. 94)
  • « Chaque matin Song Fanping  sortait avec sa grande pancarte à la main. Arrivé à l’entrée du collège, il se l’accrochait au cou et attendait là, tête basse. Une fois que tous les participants de la séance de lutte-critique étaient à l’intérieur, il ôtait sa pancarte, empoignait un balai et balayait la rue devant l’école. Dès qu’une séance était terminée, il suspendait derechef sa pancarte autour de son cou et reprenait sa place près de l’entrée, tête basse. les gens qui étaient dedans déferlaient comme une marée, ils lui donnaient des coups de pied, l’insultaient  lui crachaient dessus, et lui, vacillant de droite et de gauche les laissait faire sans dire. Là-dessus, une nouvelle séance débutait. C’est seulement à la nuit tombée; quand Song Fanping était sûr qu’il ne restait plus personne sur le terrain de sport, qu’il rentrait à la maison, sa pancarte et son balai à la main. » (P. 100)
  • « Quand un client se présentait avec un coupon de tissu chez Zhang la Tailleur, celui-ci s’informait préalablement sur son statut de classe : si c’était un paysan pauvre, il l’accueillait avec le sourire; si c’était un paysan moyen, il prenait le coupon à contrecœur; si c’était un propriétaire foncier il brandissait aussitôt le poing en criant des slogans révolutionnaires, et le client, la mine défaite quittait la boutique son coupon sous le bras. Et tandis qu’il s’éloignait dans la ruelle, Zhang le Tailleur, debout devant sa porte, continuait à l’apostropher. » (P. 110)
  • « Je n’ai pas un bon statut de classe. » (P. 218)
  • « Ce petit salopard de quinze ans était plus retors qu’un vieux salopard de cinquante. » (P. 226)
  • « Une fois devenu le directeur Li, Li Guangtou participait régulièrement à des réunions avec ses homologues.Tous portaient des costumes Sun Yat-Sen et des souliers de cuir noir, et ils allaient les uns vers les autres avec de larges sourires pour se saluer en se serrant la main. Au bout de quelques mois, ils étaient à tu et à toi. Dès lors Li Guangtou accéda à la haute société de notre bourg des Liu. Il affichait désormais un air supérieur, et le prenait de haut pour s’adresser à ses interlocuteurs. » (P.269)
  • « En l’espace de cinq ans, les grandes artères avaient été élargies, et les ruelles aussi. De nouveaux immeubles étaient sortis de terre ‘un après l’autre, et les masses n’avaient plus de poussière autour du cou et elles respiraient mieux. Pourtant, elles continuaient à rouspéter : si les maisons d’hier n’étaient pas très commodes, c’est l’État et lui seul qui devait les bailler ; les maisons d’aujourd’hui étaient toutes à la mode, mais c’est à Li Guangtou qu’il fallait les payer. Le proverbe prétend que le lapin ne mange pas l’herbe autour de son terrier, mais les scrupules n’étouffaient pas Li Guangtou, et il avait mangé l’herbe autour de son terrier jusqu’au dernier brin. L’argent qu’il accumulait, il le gagnait sur le dos de ses compatriotes. » (P. 471)
  • « Les paysans africains sont ceux qui ont le plus grand rendement au travail dans le monde entier…..ils labourent les fesses à l’air, et ils font leurs besoins tout en labourant, si bien qu’ils répandent l’engrais en même temps qu’ils labourent. » (542)
  • « En l’espace de  seulement vingt ans, les meurs s’étaient considérablement dégradés : vingt ans plus tôt, neuf femmes célibataires sur dix étaient vierges, et maintenant c’était le contraire, une sur dix tout au plus, l’étaient. A peine avait-il fini sa phrase qu’il se reprit, et affirma que sur dix il n’y en avait même pas la moitié d’une. Il n’y avait pas une seule vierge aujourd’hui dans les rues, il n’y en avait que dans les jardins d’enfants. Vouloir en trouver une ailleurs, c’était chercher une aiguille dans une botte de foin. » (P. 575)

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