« Grâce et dénuement » – Alice Ferney

grace-et-denuementEsther Duvaux, la quarantaine, ancienne infirmière devenue bibliothécaire, propose à Angeline, cheffe d’une famille de gitans de venir lire des livres aux enfants, une fois par semaine. Angeline est la mère des cinq hommes du groupe. Tous sauf un sont mariés. Les enfants non scolarisés, livrés à eux même, jouent du matin au soir, selon les saisons, dans le froid ou le chaud, la poussière ou la boue du campement.
Rejetés par les municipalités qui ne mettent pas à leur disposition des aires d’accueil convenables, ils ont installé leur caravanes déglinguées sur le terrain d’une institutrice à la retraite; un terrain dorénavant couvert de tessons de bouteilles et de ferrailles jetées au feu afin de les nettoyer…. Les enfants aux cheveux sales et emmêlés,  sont lavés, comme le linge une fois par quinzaine dans les bassines où trempe le linge. 

Les femmes assurent le quotidien, lavage du linge, repas, garde des enfants, pendant que les hommes vont récupérer les ferrailles. Des hommes violents avec elles parfois, les dressant à coups de beignes et leur plantant une fois par an un enfant dans le ventre….Entre deux clopes ils bricolent leurs camions hors d’âge. Dure mission de bénévolat pour cette bibliothécaire au grand cœur, qui finalement sera acceptée et attendue par tous. Elle s’investira beaucoup plus afin de permettre aux enfant d’être scolarisés et deviendra leur assistante sociale attitrée. 
Tous les poncifs sont réunis, la bénévole au grand cœur, le gitan sale et fainéant ne voyant pas l’intérêt de la scolarisation des enfants  
Outre la lecture de contes d’Andersen ou de Perrault ou de fables de la Fontaine, Esther essaie d’inculquer aux enfants des valeurs de respect de soi et des autres, et de leur faire choisir la communication plutôt que la violence. Elle gagnera la confiance des adultes et tentera de leur faire combattre leur fatalisme. Elle est aussi la grâce pour l’un d’entre eux…la grâce face au dénuement du groupe.
Elle essaie de transmettre, lecture après lecture, un patrimoine culturel qui était inconnu du groupe, mais aussi tente de faire réfléchir les gamins notamment à partir de la morale des contes. La lecture source d’ouverture d’esprit : « Ce qu’on garde pour soi meurt, ce qu’on donne prend racine et se développe. »
J’ai été touché par ce livre qui m’a permis de retrouver un certain nombre de situations vécues en qualité de lecteur bénévole de Lire et Faire lire, la difficulté de les captiver selon les lectures,  par ces gamins de familles gitans que j’ai accompagnés, par ces gamins de familles d’origine étrangère qui n’ont aucun livre à la maison, et qui illuminent votre journée quand ils vous disent un jour : « tu sais, j’ai maintenant un abonnement à la médiathèque ».
Et j’ai aussi été assez gêné par l’accumulation de stéréotypes…seules manquent les guitares. Des stéréotypes qui ont souvent perdu toute leur actualité.
Un livre assurant la promotion de la lecture, pourquoi s’en priver ?

Qui est Alice Ferney


Quelques lignes
  • « Elle était joyeuse, et plus que les autres, comme si, l’âge gagnant, elle avait fini par comprendre que la joie se fabrique au dedans. » 
  • Ils étaient des gitans français qui n’avaient pas quitté le sol de ce pays depuis quatre cents ans. Mais ils ne possédaient pas les papiers qui, d’ordinaire, disent que l’on existe : un carnet de voyage signalait leur vie nomade. » 
  • « Angéline avait trois secrets : elle savait ce qu’elle voulait, elle avait compris ce qui était possible, et aussi ce qui se fait avec profit. Cela faisait beaucoup de sagesse. » 
  • « Dans ce jeu d’intérêts électoraux, d’irrespect et de honte, de lâcheté et de vertu, une assistante sociale fut envoyée. Il y avait là des enfants non scolarisés, des familles sans moyen d’existence, le terrain était un bourbier sans infrastructure. » 
  • « Esther étendit la couverture sur le trottoir. Ils s’assirent en se battant un peu, se poussant du coude, disant Je vois pas, partant de l’autre côté, essayant de se rasseoir plus près. Elle les installa, les petits à côté d’elle, les grands juste derrière  Et elle commença à raconter l’enfance de Babar. Elle lit comme jamais elle ne l’avait fait, même pour ses garçons : elle lut comme si cela pouvait tout changer. […..] Ça doit être mignon dit l’une des fillettes. Très mignon, confirma Esther en souriant avant de reprendre. Entre deux pages elle apercevait les visages sérieux des enfants. Ils étaient concentrés, inatteignables »  
  • « L’étrangeté des mots captivait les adultes autant que les enfants. » 
  • « C’était les livres qui faisaient rêver la vieille. Elle n’en avait jamais eu. Mais elle savait, par intuition et par intelligence, que les livres étaient autre chose que du papier, des mots, des histoires : une manière d’être. » 
  • « Elle était devenue un plaisir de leur vie. Elle n’aurait pu disparaître sans leur faire de mal. Les enfants l’attendaient. Les parents lui parlaient. Elle ne posait jamais de question, elle écoutait. » 
  • « Jamais ils ne réclamaient, jamais ils n’avaient soif ou faim comme d’autres enfants qui ont sans arrêt besoin de quelque chose. » 
  • « Esther ne trouvait pas facilement le courage de s’arrêter, de dire : c’est fini pour aujourd’hui et de rompre en une phrase le charme créé par toutes les autres. » 
  • « Quels secrets y avait-il avec les mots les uns contre les autres. » 
  • « Même un homme que l’on quitte en se sentant légère, et sans regret, on ne se défait pas de son empreinte. » 
  • « Ils aiment la lecture, ils entrent là-dedans comme tous les enfants. Ils m’empruntent même des livres. Ils sont capables d’application et de curiosité. Ils sont semblables à n’importe quel des enfants qui sont ici. La seule chose qui les différencie, c’est sur leurs parents ne savent ni lire ni écrire et qu’ils n’ont pas de maison. » 
  • « Celui qui donne le respect reçoit le respect. » 

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