« Churchill m’a menti » – Caroline Grimm

Churchill m'a mentiUne belle couverture et un titre qui interpelle…Quoi? Cet homme politique aurait pu nous mentir?
La première phrase de la quatrième de couverture précise : « C’est une histoire vraie et oubliée… » Laissons nous tenter et vérifions si les quelques mots du Point en première de couverture ne mentent pas….sur ce livre écrit par une inconnue (pour moi)
Tout le monde sait que la résistance des Anglais, leur courage sous les bombes nazies, leur flotte, ont permis d’éviter l’invasion de l’Angleterre par les armées hitlériennes…
Toute l’Angleterre ? Non quelques îlots des Îles Anglo-Normandes, Jersey, Guernesey, Aurigny…ont été envahies par l’armée nazie, …ça me fait penser à l’inverse des premières pages des albums d’Astérix…

Angleterre, Royaume Uni, Couronne britannique, Grande Bretagne….Que de mots pour désigner les territoires de nos amis de l’autre côté du Channel…des mots qui désignent tous des entités différentes, comprenant ou non tel pays, telle ou telle île.
Des faits que Churchill occultera dans ses Mémoires, qui lui permettront pourtant, en 1953, d’obtenir le Prix Nobel de Littérature…Dans celles-ci, il rattacha ces îles ou îlots à la France, assurant ainsi que depuis 1066 l’Angleterre n’a jamais été envahie par des armées étrangères. Défilé
Ces îles ont portant été jusqu’en mai 1945, un an après le débarquement en Normandie, sous la coupe des nazis, qui changeront le fuseau horaire, le sens de circulation, la numérotation des routes et créeront une monnaie d’occupation. MoneyIls y déporteront dans des camps de concentration des juifs, des opposants au régime hitlérien, des Russes, des droits communs, des homosexuels ou des objecteurs de conscience. Et y commettront toutes les exactions contre les juifs, les femmes juives, les déportés qu’ils commirent pendant ces années de guerre, ailleurs, dans tous les pays qu’ils occupèrent.
Lors de leur libération Churchill parlera de la « libération de ses chères îles de la Manche » . Ah ! la politique !
Ici aussi, les nazis trouvèrent des collaborateurs pour les aider, les renseigner, et des femmes volontaires pour le plaisir des soldats…et des femmes qu’ils violèrent pour ce même plaisir
Caroline Grimm nous fait suivre quelques personnes, hommes et femmes anonymes qui résistèrent, et luttèrent au péril de leur vie, d’autres qui s’enrichirent grâce à leurs trafics, aux spoliations des biens juifs, à leurs trafics malhonnêtes ..Bobby
En faisant parler tour à tour, les héros et les salauds, dans des chapitres classés chronologiquement, elle nous fait découvrir la belle vie de certains, et les conditions d’esclavage de ceux qui construisirent les fortifications de la ligne Todt, du mur de l’Atlantique ou le « German HopitalUnderground Hospital », l’hôpital souterrain devenu après guerre les « Jersey War Tunnels »….Et elle met en parallèle à la fin de chaque chapitre des petites phrases, des faits et gestes de Churchill, souvent dérangeants. De nombreux bas de pages mentionnent les sources de l’auteur, études historiques, autres ouvrages…
Le sujet est intéressant. Même si tout n’est pas dit dans ce livre, même si certains points mériteraient un développement plus complet, même si j’aurais aimé plus de détails, plus de profondeur pour certains personnages, ce roman vite lu interpelle le lecteur, et parfois le révolte…C’est ce qu’on attend d’une découverte littéraire.
« L’histoire est faite par les vainqueurs » a dit Robert Brasillach, connu pour son antisémitisme,…Il avait été fusillé pour faits de collaboration quelques mois avant la libération des îles. Il n’avait pas tort.
C’était la première fois que je lisait cette part d’Histoire qui avait été évoquée dans « Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates«  de Mary Ann Shaffer & Annie Barrows, que j’avais apprécié.
« C’est ce que j’aime dans la lecture. Un détail minuscule attire votre attention et vous mène à un autre livre, dans lequel vous trouverez un petit passage qui vous pousse vers un troisième livre. Cela fonctionne de manière géométrique, à l’infini, et c’est du plaisir pur ». (« Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates »)

Qui est Caroline Grimm


Quelques extraits
  • « Il n’y a plus aucun soldat à Jersey, Churchill a besoin de tous ses hommes pour défendre l’Angleterre. [….]  ‌On nous a laissé le choix de partir pour l’Angleterre nous aussi ou de rester dans nos maisons. Moi je voulais qu’on suive Papa sur le continent, mais Maman a dit pas question, on est en sécurité sur l’île, si Churchill a désarmé Jersey, il sait ce qu’il fait, c’est que les Allemands ne risquent pas de nous attaquer, on est trop petits, on n’intéresse personne. Papa a opiné du chef. « Ecoute ta mère, Victoire. Moi aussi, je préfère savoir mes deux enfants en sécurité avec leur mère ici. Et puis pour aller où ? » (P. 24)
  • « Nombreux sont ceux que je connais qui ont fui avec leur barque et leur matériel vers l’Angleterre, au risque de chavirer et de se noyer. Alors les Allemands n’ont rien trouvé de mieux que d’interdire aux personnes ayant de la famille en Angleterre d’utiliser leur bateau. » (P. 70)
  • « Le nombre de contingents allemands débarqués sur les îles est proprement stupéfiant, il y a en moyenne deux soldats pour un îlien et le projet fou de Hitler est, en ce qui concerne Jersey, Guernesey et Aurigny, de les ériger en forteresses imprenables en les intégrant au mur de l’Atlantique dont il a démarré la construction en France. » (P. 95)
  • « Le gouvernement anglais a toujours été prêt à tout pour éviter les procès pour crimes de guerre des nazis de la Manche. Pour éviter que l’on ne découvre l’étendue de la collaboration des autorités et de certains habitants des îles. » (P. 121)
  • « Et le pire, c’est qu’il ne vient à l’idée de personne de résister. Il faut être fort pour désobéir, il faut pouvoir compter sur tous ses muscles, tous ses sens, il faut pouvoir réfléchir. Personne ne peut s’évader, personne n’y songe, même. » (P. 161)
  • « Dans ce cimetière il y a quelque chose comme huit cents tombes de Russes d’un côté, et à un endroit à part, une fosse commune pour nous les Juifs. » (P. 162)
  • « Les disparus  ne sont plus, pertes et profits, on fera les comptes plus tard, ou plutôt nous ne ferons jamais les comptes, on a tous trop à y perdre, une réputation, un honneur, une dignité, une fierté. » (P. 250)
  • « Voilà le mensonge érigé en vérité.[…] Puisque leur pays n’a pas été occupé pendant la Seconde Guerre mondiale, les horreurs de la Shoah, sont des événements qui se sont passés « ailleurs ». Dans la mythologie anglaise, encouragée par Churchill, les îles anglo-normandes n’ont tout simplement pas leur place. Personne ne veut entendre parler d’un prétendu camp de concentration à Aurigny, sur le territoire britannique. Non, me disent-ils tous d’un ton ferme, vous faites fausse route, il s’agissait des camps de travailleurs volontaires ou non de l’organisation Todt, et employés à la construction du Mur de l’Atlantique. » (P. 261)
  • « On ne guérit jamais des ses blessures d’enfance…l’important c’est ce qu’on en fait. » (P. 270)

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