« L’Ombre d’une différence » – Sefi Atta

L'ombre d'une différenceJ’avais découvert il y a deux ans Sefi Atta avec « Le meilleur reste à venir », dans lequel , en prenant pour cadre la vie privée de deux femmes,  elle nous présentait l’Afrique qui n’arrive pas à se développer malgré ses atouts et ses richesses, une Afrique supportant encore les traces de son passé colonial.
Dans « L »ombre d’une différence », elle s’intéresse aussi à ses compatriotes expatriés à Londres ou vivant à Lagos, à leurs amours et peines de cœur, à leurs conditions de travail ou à leur pauvreté. 
Son héroïne, Deola (Adeola Bello), dans la quarantaine, est britannique mais se considère toujours comme nigériane. Célibataire sans enfant, elle travaille dans une ONG après avoir travaille dans cabinet conseil spécialisé dans les associations à but non lucratif. 
Son emploi l’amène à faire des allers-retours entre Londres et Lagos…deux villes dans lesquelles elle ne se sent pas complètement chez elle.

Elle traîne avec elle un malaise indéfinissable, une distance avec les événements, avec la vie, qui ne la rendent pas très attachante et ne m’ont pas permis d’être bien à ses côtés.
J’ai été cependant ravi pas les passages dans lesquels Sefi Atta nos dépeint l’Afrique et les Africains,  et s’interroge sur les conditions de développement de ce continent et surtout du Nigeria riche de son pétrole, mais confronté à la corruption, et laissant des habitants vivre dans la pauvreté malgré le secours des organismes de charité….ce que j’avais déjà trouvé dans « Le meilleur reste à venir ». Mais aussi Londres, ville de plus en plus cosmopolite accueillant de nombreux nigérians
Une Afrique et un Nigeria devant, afin de faire face à la pauvreté « quémander à droite et à gauche? »  Un continent se posant une question récurrente :  « Pourquoi est-ce que l’Afrique est condamnée à l’aide humanitaire? » . Des pays s’interrogeant aussi, du fait de la religion à des questions relatives à la sexualité ou à l’homosexualité.
Ces œuvres humanitaires apportent certes beaucoup d’argent mais qui, sans doute par ces apports et par ces disponibilités financières, n’incitent pas les africains à se prendre en charge, à investir dans leur développement économique.
Et j’avoue peu intéressé par les problèmes de cœur de l’héroïne, ses interrogations face à une maternité non désirée mais imposée par un préservatif défaillant, son désir d’enfant, ses rencontres avec d’autres nigérians, dont certains préoccupés par la préparation de leur mariage. Sauf quand ces rencontres et ces conversations me permettaient d’en savoir plus sur leur cadre et leurs conditions de vie. 
Bien nulle part, elle hésite entre Londres et un retour au pays.
Semi-déception donc, sans doute due à la multiplication des personnages secondaires, à la frivolité de certaines de leurs conversations et des centres d’intérêt de plusieurs d’entre eux…et peut-être due aussi à des considérations et un état personnels qui ne m’ont pas permis d’être totalement disponible pour qu’elles me touchent.
La chronique du Nigeria et de ses habitants, expatriés ou vivant à Lagos m’a toutefois passionné.

C’est le point positif que je conserverai de ce livre que je relirai certainement quand mon esprit ne sera plus accaparé par ailleurs.


Connaître Sefi Atta

Quelques lignes
  • « Pour sa part, elle se souvient du conseiller d’orientation lui expliquant que les Africains ne sont pas assez intelligents pour aller à l’université et du professeur de théâtre lui demandant de chanter […] dans une comédie musicale de fin d’année, essayant de la convaincre que c’était une satire. » (P. 85)
  • « Tessa pourrait se sentir coupable, sans se rendre compte que les Nigérians sont aussi bourrés de préjugés que les Anglais, et encore plus snobs. les Nigérians sautent sur le premier prétexte pour snober. Sans provocation, ni remords. Il se snobent entre Nigérians, ils snobent les autres Africains, les autres Noirs, les autres races. Ils snoberaient des extraterrestres s’ils le pouvaient. » (P. 87)
  • « L’Angleterre a changé. A une époque, elle avait eu du mal à trouver le seul magasin de musique de Soho qui vendait des disques de soul. Ce ne sont pas seulement les Nigérians, la culture noire est partout aujourd’hui, mais elle ne se sent pas satisfaite. » (P. 91)
  • ‌ »La ville a rétréci, ou peut-être qu’il[ y a toujours plus de monde. C’est la saison des pluies, et Deola se demande comment elle a un jour pu appeler ça l’été. Les rues sont détrempées. Elle aperçoit certaines nouveautés, comme le service de navettes pour les ouvriers, mais dans l’ensemble la ville lui est familière. Les taxis jaunes, les minibus, les bus arborant des messages bibliques comme «El Shaddaï» et «Weep Not Crusaders», les camions débordant de sable mouillé, les bâtiments inachevés et les voitures en panne. Les gens traversent le terre-plein central de l’autoroute et des béliers paissent en contrebas. Les étals d’Oshodi Market évoquent des cellules de prison et les toits sont encombrés de panneaux publicitaires pour des compagnies de fret, des banques et des écoles d’informatique. De la fumée s’élève derrière un bosquet de palmiers. A une extrémité du Third Mainland Bridge, une agglomération, à l’autre extrémité, l’université de Lagos. La rive de la lagune est couverte de pirogues et de filets de pêche. » (P. 96-7)
  • « Les journaux du dimanche sont sur la table. Les gros titres parlent d’économie et de politique, pas comme les articles sur le Nigeria qu’elle a l’habitude de lire à l’étranger, qui se concentrent sur les fraudes Internet, les trafiquants de drogue, le fondamentalisme musulman et les activistes armés du delta du Niger. Ici, les journaux précisent à quels États du delta du Niger ils font référence : l’État de Rivers, de Bayelsa,ou du Delta. Petit à petit, elle retrouve ses marques. » (P. 100-1)
  • « La plupart des Nigérians qu’elle connaît sont très virulents contre les célébrités impliquées dans des œuvres de charité en Afrique. Ils les accusent de chercher à attirer l’attention sur eux ou à se faire anoblir. S’ils parlent de la détresse de l’Afrique, ils font étalage de leur grandeur d’âme. S’ils adoptent des petits Africains, ce sont des bourreaux d’enfant. Elle a entendu tous les arguments : les œuvres de charité dépeignent les Africains comme affamés et malades. Ce que les pays occidentaux doivent à l’Afrique, ce sont des accords commerciaux et l’allègement de la dette, pas des aides. » (P. 53)
  • « A ma connaissance, les seuls Africains qui ont quelque chose à redire à l’aide étrangère sont des Africains qui n’ont pas besoin d’aide. A ma connaissance, les Africains qui bénéficient de cette aide n’y voient rien à redire. Et je n’ai pas l’impression que les Africains s’aident beaucoup entre eux. Combien d’entre nous sont riches? Quel pourcentage? ils nous exposent, c’est tout. C’est pour ça que les humanitaires nous énervent tellement. » (P. 250)
  • « Les dons n’ont jamais fait disparaître la pauvreté, et les Africains devraient arrêter de solliciter des fonds auprès des pays développés. C’est quoi ces histoires. Notre continent est pourtant le berceau de la civilisation, non?. » (P. 251)
  • « Les fondamentalistes, à la fois chrétiens et musulmans, sont voués à considérer l’homosexualité comme un crime odieux – elle a entendu parler d’un homme condamné à être lapidé dans le Nord, conformément à la charia naturellement, il était pauvre – mais cette attitude est importée . » (P. 286)
 

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