« Ce que j’ai voulu taire » – Sándor Márai

ce que j'ai voulu taireIl y a quelques mois, par hasard, je découvrais Sándor Márai avec Les Braises et la Sœur ..Et les quelques mots écrits sur la quatrième de couverture de « Ce que j’ai voulu taire » que je feuilletais dans la bac des livres à ranger en rayon de la Médiathèque m’ont interpellé : « Longtemps présumé perdu avant d’être retrouvé et de paraître en 2013… »…
Un hasard, qui fait bien les choses. 
Un peu désuet peut-être, assez oublié des médias, Sándor Márai a le charme des vieilles choses, le charme d’un temps révolu, et le regard d’un humaniste, d’un homme sans doute désespéré, qui quitta son pays, la Hongrie en 1948, pour fuir le régime communiste….et se donner la mort en 1989

« Ce que j’ai voulu taire » est à la fois un livre de souvenirs de l’auteur, un livre sur l’histoire politique et la culture de la Hongrie, proche de nous et pourtant assez méconnu, un ouvrage dans lequel il nous livre ses états d’âme, suite à l’Anschluss et à l’invasion de l’armée nazie, suite à l’attitude de son pays pendant la deuxième Guerre mondiale…et à la mainmise de l’URSS et des communistes à partir de 1945. 10 ans de vie de la Hongrie.
Il a le mérite de nous rappeler les conséquences du traité de Trianon qui fit éclater la Hongrie au lendemain de la Première Guerre mondiale, un traité qui dépeça la Hongrie et plaça la ville natale de l’auteur en Tchécoslovaquie, pays qui le considérera comme un déserteur car il refusa d’y effectuer son service militaire. Il m’appris également que pendant 150 ans environ, la Hongrie a été occupée par les Turcs.
Il souffrait d’être considéré comme « bourgeois », parce qu’il était un intellectuel. En développant ses idées et en s’appuyant sur l’Histoire de la Révolution française, il démontre tout l’intérêt des « intellectuels bourgeois » pour faire avancer un pays, promouvoir des idées de liberté. Et c’est certainement parce que ces idées, parce que cet apport de la bourgeoisie n’étaient pas partagées par le nouveau régime communiste, parce que lui, intellectuel bourgeois n’étaient plus tolérés qu’il quitta la Hongrie, pour ne jamais y revenir. On perçoit son déchirement.
Au fil des compromissions des élus, des désastres, des occupations et des censures, la Hongrie perdait son âme, son humanisme et sa culture. 
bombardements 
Un texte fort et visionnaire aussi : « Si l’on voulait développer les moyens de transport, l’information moderne, une industrie mondiale selon des intérêts communs, il fallait créer de plus grands alliances  de grandes unités économiques qui pourraient entraîner par la suite des expériences de collaboration politique et idéologique. Si un jour en Europe occidentale, on concevait de plus grands territoires à l’intérieur de mêmes frontières et avec une monnaie commune, cela suffirait pour rendre virtuelles les frontières entre les États et les peuples danubiens ne pourraient résister à l’attraction d’un tel modèle. » (P. 114) 
Un pays qui a choisi la liberté en 1957 et qui aujourd’hui refuse l’arrivée de migrants
(Éditeur : Albin Michel – 2014 – 206 pages)

Qui est Sándor Márai


Quelques lignes
  • « Assis dans mon beau bureau de Buda, j’écrivais en langue hongroise, pour qui ?….Je ne savais pas encore que s’amorçait ce jour-là la disparition des derniers cadres de la culture hongroise, de ceux qui, même de façon intermittente, l’avaient construite et fait vivre après la domination turque, je ne savais pas que, ce jour-là, la bourgeoisie hongroise allait être anéantie. » (P. 36)
  • « J’en ai le droit parce que, bien que mes ancêtres aient émigré d’Allemagne dans ce pays il y a seulement trois cents ans, je suis hongrois, parce que je suis né hongrois, que le hongrois est ma langue maternelle et que tous mes sentiments et mon sort indirectement me lient au destin du peuple hongrois. » (P. 49)
  • « Le jour où les troupes d’assaut des la Gestapo allemande stationnèrent à la Leitha et où, après élimination des Juifs allemands, on commença à procéder à un rythme accéléré à l’extermination des juifs autrichiens, tout homme doué de raison sut que la haine latente des Juifs qui s’était jusque là manifestés en Hongrie par un antisémitisme institutionnel, des lois antijuives et une exclusion sociale, ne connaîtrait plus de frein. C’est l’une des faces de la réalité. Il y avait des gens qui rêvaient d’une pharmacie juive, d’autres d’un terrain juif, d’un appartement juif. La presse antisémite, défenseur de la race, emboucha les trompettes du fanatisme  Les dirigeants successifs, tout en rechignant ne manquèrent pas, en fin de compte d’obéir aux exigences de ce fanatisme. Avec comme but final l’anéantissement des Juifs de Hongrie. » (P. 61)
  • « Bien sûr nous n’étions ni impartiaux ni neutres et en fin de compte, tout se passait comme l’exigeaient les cercles officiels pro-allemands : ils ont d’abord donné le blé, les matières grasses, le fer puis, plus tard, les forçats juifs et l’armée hongroise aux Allemands et finalement, ils ont jeté le pays tout entier dans la gueule du monstre allemand. » (P. 141)
  • « La censure à cette époque là sévissait sans limite mais de même que les journalistes hongrois avaient oublié comment écrire un journal, les lecteurs hongrois avaient appris à lire entre les lignes. » (P. 144)
  • « Quand on donne au peuple le droit d’exprimer, sans aucune preuve, sur de simples allégations et proscriptions, l’accusation formulée de façon générale selon laquelle telle personne serait «antidémocratique» ou «ennemie du peuple», quand, en pratique, cette accusation implique pour la personne incriminée des conséquences immédiates et quand celui dont on a condamné le nom (simplement en le faisant tourner sur le cylindre d’une imprimerie) est envoyé, sans aucun jugement légal, dans la prison que constituent l’impuissance et l’exil social et économique, le peuple use volontiers de ce droit parce que ce jeu impersonnel n’engage aucune responsabilité individuelle et déclenche chez les anonymes sans aucun pouvoir une grande satisfaction, une sorte d’euphorie. » (P. 154)

 

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