« Le Peuple d’en bas » – Jack London

Le peuple d'en bas Le-peuple-de-labime-Quand on parle de Jack London, immédiatement viennent à l’esprit des titres comme « Croc-Blanc », « L’appel de la forêt », « Le Loup des mers » ….rares sont ceux qui penseraient au livre « Le peuple d’en bas »…et pourtant, ce titre assez difficile à trouver en librairie sauf sur commande, mérite qu’on s’y penche. Merci à Recyclivres.
J’ai, comme tout lecteur, découvert London à l’adolescence, avec ces « classiques » cités en introduction…ceux-ci font voyager…grands espaces, amitiés, bref…ces romans d’aventure ont fait rêver l’adolescent de quinze ans que j’étais. 
En 1902, London qui avait 26 ans eut une idée : aller vivre quelques jours dans le quartier East-End de Londres, en se faisant passer pour un marin ayant abandonné son métier. Une nouvelle expérience pour lui, comme celles du Grand Nord, de la mer, de la recherche d’or.

Alors il achète des guenilles chez un fripier, mais prévoyant fait quand même coudre une pièce d’or sous le bras….Au cas où..Il va vivre pendant quelques semaine la vie de ces hommes et femmes, de ces familles aux assiettes vides, sans travail, vivant dans des logements surpeuplés, parfois à 7-8 dans une seule pièce ! Il en a rapporté ce texte, rédigé sans voyeurisme.
Un texte difficile et insoutenable parfois du fait de la force et de la violence des descriptions ou des situations vécues. Rien ne nous est épargné : promiscuité, alcoolisme, faim, malnutrition, maladies, tuberculose, petite vérole, violence…et même cadavres d’enfants cohabitants avec la famille qui n’a pas les moyens de payer l’enterrement. Certains pères de famille en arrivent même au meurtre de leur épouse ou de leurs enfants.
Nombreux étaient ceux sans logement, par manque de moyens financiers ou parce qu’ils avaient été expulsés…Alors ils dormaient dehors sous le pluie londonienne, mais les bobbies les chassaient de jour, comme de nuit mais « un règlement, décrété par les pouvoirs publics, interdit aux sans-logis de dormir la nuit sur la voie publique » …il est même interdit de dormir debout, pourtant beaucoup le font serrés les uns contre les autres. Un cauchemar !
Quand ils peuvent travailler, c’est pour des salaires de misère, on ramasse le houblon, on fait des bouquets…on est payé à la pièce…Une journée de travail pour gagner un repas vite pris, sans viande. Un repas qu’on termine la faim au ventre.
Bien sûr, il y a les asiles de nuit, dont les places ont comptées, il faut faire la queue dès le début d’aprés-midi. Sinon c’est l’Armée du salut, qui avant de vous donner un croûton rassis, impose d’écouter debout des sermons interminables.
Dickens était mort depuis trente ans, Zola finissait ses jours.
Alors que es pauvres gens crevaient de faim des lords organisaient des chasses à courre dans leurs immenses domaines et l’Angleterre couronnait, avec le faste qu’on lui connait, son roi Edouard VII. « Un spectacle de cirque »  écrira t-il !
Rien n’a vraiment changé sous le ciel anglais….
Life and Labour of the PeopleL’indignation de Jack London est présente à toutes la pages…on pourrait penser que c’est un parti-pris, il n’en est rien, il appuie son enquête et son texte sur d’autres écrits de Charles Booth, précurseur de la sociologie estimant dans son étude « Life and Labour of the People »  « qu’il y a à Londres 1 800 000 personnes qu’on peut considérer comme pauvres, et très pauvres », sur des rapports de police ou de parlementaires, des articles de journaux, des statistiques …Afin de conforter son analyse, London compare souvent avec les conditions de vie, de travail ou de rémunération aux Etats-Unis.
Ce texte fort et dérangeant a cependant été censuré à la demande de l’éditeur, la préface nous l’apprend. Jack London a « supprimé entièrement les références au roi d’Angleterre dans le chapitre du couronnement »
Son indignation est politique et on reconnaît là l’homme engagé, celui dont le San Francisco Newsletter écrira « Il est le flambeau de l’anarchie du drapeau rouge. Il mériterait d’être arrêté et poursuivi pour haute trahison ».
Le texte est fort et dérangeant, il nous renvoie, en partie, et toutes proportions gardées, aux conditions de vie actuelles des sans abris ou des réfugiés. 
Par bien des points,  il m’a remis en mémoire le texte de Georges Orwell « Dans la dèche à Paris et à Londres », l’un était sans travail ou travaillait pour des salaires de misère, l’autre était volontaire.
On peut cependant regretter certains redites, qui alourdissent l’analyse.
Editions Libretto – 1999 – Traduction : François Postif – titre original : Le peuple de l’abîme – Date de première parution : 1903 – 250 pages

Quelques mots sur Jack London


Quelques lignes

  • « Dans la foule il y avait aussi une bonne douzaine d’Américains qui n’étaient pas marins, mais qui appartenaient à la confrérie royale des vagabonds, où tout homme a pour ami le vent qui traînasse inlassablement à travers le monde. C’étaient de joyeux lurons, ils regardaient les choses en face avec un certain courage habituel chez eux, et ils parlaient dans un langage haut en couleur très rafraîchissant après le mois entier que je venais de passer au milieu des jurons cockneys, insipides et d’une monotonie blafarde. Le cockney n’a qu’un juron, et un seul — qui est d’une indécence rare, — mais qu’on utilise n’importe où, n’importe quand et dans n’importe quelle occasion. La façon de jurer claire et variée des gens de l’Ouest est autrement colorée, elle se complaît dans le blasphème et n’est pas grossière. Après tout, puisqu’on doit de toute façon jurer, je préfère le blasphème à la grossièreté. Il y a une sorte d’audace dans un blasphème, au moins de défi, et de courage qui me semble d’une nature bien supérieure à l’obscénité pure et simple. » (P. 113)
  • « On a couronné un roi aujourd’hui, et il y a eu de grandes réjouissances et beaucoup de folies, et me voilà, perplexe et triste. Je n’ai jamais rien vu de comparable à ce spectacle costumé, sauf les cirques américains et les ballets de l’Alhambra — je n’ai jamais rien vu d’aussi désespéré ni d’aussi tragique. » (P. 121)
  • « Chaque jour, un million de personnes se présentent pour manger aux guichets de L’Assistance publique, et, au cours de l’année, un ouvrier sur onze s’en vient frapper à sa porte. » (P. 229)
  • « On ne peut pas faire travailler un homme comme un cheval, le faire vivre et le nourrir comme un porc, et, dans le même élan, lui demander d’avoir des aspirations saines et des vues pleines d’idéal. » (P. 238)
  • « « Si la Civilisation a augmenté le pouvoir de production de l’individu moyen, pourquoi n’a-t-elle pas amélioré le sort de cet individu ? »
    À cette question, une seule réponse est possible : à cause d’une mauvaise gestion. La Civilisation a rendu possible toutes les formes du confort matériel, et beaucoup de joies intellectuelles. Mais l’Anglais moyen est exclu de toutes ces joies. S’il doit éternellement en être privé, je dis que la Civilisation a failli à sa mission. Il n’y a aucune raison pour qu’on laisse continuer un artifice qui s’est révélé être un échec. Mais il est incroyable que les hommes aient mis inutilement sur pied ce formidable artifice, cela dépasse l’imagination. Reconnaître une défaite aussi cuisante, c’est donner le coup de grâce à l’effort et au progrès.
    Une autre solution, et une seule se présente immédiatement à l’esprit : Il faut obliger la Civilisation à améliorer le sort de l’individu moyen. Ceci posé, tout se résume en une simple question de gestion des affaires. Il faut conserver ce qui est bien, et éliminer ce qui est mal. Voir si l’Empire est un bénéfice pour l’Angleterre, ou si, au contraire, c’est un gouffre. Si c’est une source de profits, eh bien il faut s’arranger pour que l’Anglais moyen en ait sa part, et si c’est une perte, il faut s’en séparer. » (P. 247)

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