« Capitaines des sables » – Jorge Amado

Capitaines-des-sablesAvec Capitaines des sables, on est bien loin du Brésil qui fait rêver, celui du Carnaval, des grandes plages de Copacabana, des belles filles siliconées en maillots de bains « timbres poste ». On voyage au contraire dans le Brésil qu’on ne montre pas, qu’on tait sur les brochures touristiques, celui de la violence, du vol, du viol, des favelas. Bien qu’écrit il y a plus de 80 ans, en 1937, Capitaines des Sables, n’en conserve pas moins, de ce fait une actualité brûlante.
Les Capitaines des sables sont ces enfants abandonnés ou orphelins, vivant en groupe pour commettre leurs vols et autres méfaits. Ils sont une centaine, âgés de 8 à 16 ans, qui volent dans les maisons de riches, se cachent de la police, et n’hésitent pas à jouer du couteau… 

Malgré leurs méfaits, on n’arrive pas à les haïr, sauf peut-être quand ils violent sur le sable des gamines de leur âge, de 8 à 10 ans. Ils savent jouer de leur jeune âge, de leurs guenilles, de leurs mensonges pour se faire plaindre des bourgeois, des femmes seules, pour se faire embaucher pour quelques pièces en portant des paniers de provisions. Alors ils peuvent entrer, pour quelques minutes ou quelques jours selon les larmes qu’ils suscitent, dans ces appartements de riches où ils repèrent les objets à voler. 
Ils nous sont parfois sympathiques, ces gamins qui couchent, à même le sol, dans un grand hangar désaffecté, que la police cherche en vain à localiser. 
L’auteur fait tout pour nous les faire aimer, il donne à chacun d’eux un surnom qui attire le sourire et la sympathie : Chéri-du-Bon-Dieu, S’la-Coule-douce, Coude-Sec, Sucre d’orge, Patte-Molle, José la Fouine… Des petits caïds dirigés par un gamin de 15 ans Pedro Bala. Ils se battent rarement entre eux, ils respectent le chef, ils ont leur code d’honneur.
Rares sont ceux qui veulent les aider, seul un prêtre José Pedro fait tout pour les sortir de leur condition. Pour cela il n’est pas apprécié de sa hiérarchie qui préfère le faste, l’argent. 
Roman social avant tout, parce qu’il dénonce à la fois le régime brésilien et et l’église qui ne font pas grand chose pour éradiquer cette pauvreté, Capitaine des Sables est l’un des marqueurs de cette époque et d’un homme, Jorge Amado. Celui-ci n’adhérait pas encore au parti communiste quand il écrivit ce livre en 1937. Ce n’est qu’en 1941 qu’il devient compagnon militant du PC brésilien. Ainsi, on comprend mieux la construction du livre, la personnalité des gamins, l’absence de sentiment de rejet de la part du lecteur. Ce livre est écrit pour dénoncer un état de fait brésilien, pour montrer du doigt un régime qui accepte cette pauvreté, et ne l’élimine qu’en éliminant les meneurs, des gamins quand ils sont arrêtés. 
Les bons d’un côté, les mauvais de l’autre. 
On n’aide pas ces gamins à écrire leur histoire, on la gomme.
Alors que l’actualité, mettait ce pays au devant de la scène politique, que le Brésil s’apprêtait à élire un nouveau président de la République d’extrême droite, j’ai éprouvé le besoin de lire un auteur emblématique de ce pays, de son histoire, et ce fut Jorge Amado…..sans doute pas l’un des auteurs les plus connus en France si l’on en juge le nombre d’avis sur ses ouvrages, et ce fut ce livre aux feuilles jaunies, sentant bon la poussière des bibliothèques. 
D’autres livres de cet auteur sont déjà dans ma liste de découvertes à entreprendre….mais il il en a tant !

Je n’aurai peut-être pas le temps de tous les lire, comme dit la chanson. Chaque jour de nouveaux titres s’ajoutent aux plus anciens

Éditions Gallimard – Traduction Vanina – 2005 – Première parution 1937 – 292 pages

Présentation de Jorge Amado


Quelques lignes
  • « Ce qu’il voulait, lui, c’était du bonheur, c’était de la joie, c’était fuir toute cette misère, toute cette détresse qui rôdait autour d’eux et les étranglait. Il y avait, il est vrai, la grande liberté des rues. Mais il y avait aussi le renoncement à toute caresse, l’absence de toutes les bonnes paroles. » (P. 38)
  • « Patte-molle mit le moteur en marche. Et ils oublièrent qu’ils n’avaient ni foyer, ni père, ni mère, qu’ils vivaient de rapine comme des hommes, qu’ils étaient redoutés par la ville comme des voleurs. » (P. 89)
  • « Pourquoi étaient-ils ainsi détestés dans la ville? ils étaient de pauvres enfants sans père ni mère. Pourquoi ces hommes bien vêtus les détestaient-ils autant? » (P. 109) 
  • « Très vraisemblablement il irait directement au pénitencier, car de la maison de correction, on parvient à s’enfuir, mais du pénitencier ce n’est pas facile. » (P. 114)
  • « On constata que son fusil portait trente-cinq marques et, comme on le sait, sur un fusil de cangaceiro, chaque marque représente un homme mort. » (P. 277) 
  • « La grève, c’est la fête des pauvres. » (P. 286)

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