
« Il m’aura fallu des années pour l’apprendre et une vie entière pour en comprendre le sens : pendant la guerre, mon père avait été du « mauvais côté ». » (P. 31)
«Ton père portait l’uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud ! » lui dira un jour, son grand-père
Le gamin d’une dizaine d’années qu’était alors Sorj Chalandon entendit ces phrases, prononcées par son grand-père, un homme en lequel il avait toute confiance, sans forcément les comprendre sur le moment…Il découvrira, plus tard en 2020 , que son père avait porté l’uniforme allemand, quand il eut en main l’extrait de casier judiciaire de son père, la preuve de son incarcération à la fin de la guerre pour indignité nationale .
Un dossier conservé par la cour de justice de Lille sous la cote 9W56 et dont l’oncle de son ami qui put l’extraire, a photocopié 124 pages ! 124 pages terribles qu’il put lire et relire. La Nausée!
Pour les besoins de son projet littéraire, Sorj Chalandon, fera coïncider cette découverte avec un autre évènement, l’ouverture du procès de Klaus Barbie, du procès d’Izieu, localité dans laquelle étaient réfugiés des enfants juifs, qui furent trahis, dénoncés et transportés en Allemagne où ils furent presque tous exterminés. Procès dont il assura la couverture en qualité de journaliste pour le compte de Libération.
J’ai lu bonne bonne partie des livres de cet auteur, et chaque fois le plaisir fut au rendez-vous..
Comment ne pas être intrigué après cette lecture, comment ne pas s’interroger par les autres titres de cet auteur, autres titres qui se déroulent à des époques différentes, mais dont les titres évoquent des thèmes ou des types de personnages ressemblant à la fois à Klaus Barbie et à son père : « Enfant de salaud » : « Mon traître », « La légende de nos pères », « Profession du père »…. dans lequel il évoque également un père mythomane.
Ces titres, ces thèmes et personnages semblent rappeler, inconsciemment ce père, ce salaud qui prit l’uniforme nazi…je suis intrigué par cette similitude. Un psy en ferait peut-être une analyse. Quant à moi, je ne dispose d’aucune compétence pour en tirer des conclusions.
Seul le plaisir de lire cet auteur m’importe!
« Pourquoi es-tu devenu un traître, papa? » (P. 30)
Éditeur : Grasset – 2021 – 329 pages
Lien vers la présentation de Sorj Chalandon
Quelques lignes
- « En août 1942, ce soldat vaincu a choisi le camp de Vichy. Et a endossé l’uniforme pétainiste de la Légion tricolore. Il avait 20 ans.. » (P. 52)
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« —Mon père a été SS.Il m’a fallu une nuit pour cuver cette phrase et tout le vin qui allait avec. Que je la répète dans ma tête en marchant dans le vieux Lyon, chassé de bar en bar par le torchon mouillé du patron sur le zinc. Puis que je la dise à voix haute, sa violence dans la nuit.— Mon père a été SS.. » (P. 65)
- « Quand mon père me battait, il n’était plus mon père, mais un Minotaure prisonnier de cauchemars que j’ignorais. Il était celui qui humiliait. Celui qui savait tout, qui avait tout vécu, qui avait fait cette guerre mais aussi toutes les autres. Qui racontait l’Indochine, l’Algérie. » (P. 65)
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« Barbie a expliqué avoir appris lors du procès de Nuremberg quel était le sort réservé aux malheureux. Croyant jusque-là que le mot « solution finale » désignait la création d’un État juif indépendant. » (P. 129)
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« Tu as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre, t’inventant chaque fois un nouveau personnage, écrivant chaque matin un autre scénario. » (P. 177)
- « Un jour que nous dînions ensemble, il m’a demandé si je n’aurais pas préféré avoir un père « seulement » collabo. Quelque chose de simple, une saloperie sur quoi pleurer, cogner, qu’il me faudrait pouvoir admettre ou condamner, mais voilà que j’avais hérité du pire. Je me débattais dans l’épais brouillard qui entourait ton lac allemand. Tu restais une question et ta guerre était une folie. Elle ne me permettait ni de te comprendre ni de te pardonner. » (P. 234)