« Les Feux » – Shôhei Ôoka

« Finalement, ils étaient comme moi des rebuts abandonnés par leur compagnie vaincue. […] on aurait dit des animaux plutôt que des êtres humains. »  (P. 42-3)

Tamura est l’un de ces soldats japonais abandonnés sur une île au cours de la Guerre du Pacifique. Il erre depuis que son chef lui a conseillé de crever. En effet nombreux sont les soldats japonais qui n’ont rien à manger, sans chef, sans ordres, sans ravitaillement. Où se trouve donc l’organisation et la rigueur qu’on prête au peuple japonais ? 

C’est en ce sens une découverte qui bouscula le lecteur que je suis. 

N’y cherchez pas les scènes d’action les scènes de combat…Non, il ne s’agit que d’une longue errance, l’errance d’un homme taraudé par la faim, miné par la défaite, un homme à la recherche d’autres combattants, à la recherche des siens. 

Tamura, du reste, n’a pas l’âme d’un combattant, comment donc pourrait-il avoir envie de se battre. Il est seul, il ne rencontre que des cadavres, certains dont les fesses ont été découpées et mangées par d’autres soldats, comme lui, abandonnés par leur hiérarchie. Lui est sans aucun doute bien plus humain que les autres, car il se refuse à  de telles pratiques. Et pourtant…..Je ne vous raconterai pas. 

Corps en décomposition, corps découpés, vidés, pourrissants …heureusement que ce corps affamé est guidé par un esprit sain, qui refuse les ignominies. 

Ces descriptions de corps, de souffrance ne servent en fait qu’à décrire l’âme humaine, l’âme de certains capables du pire pour satisfaire leur corps, et l’âme d’autres, incarnés par Tamura qui malgré la tentation de la faim résistera  

Cet esprit sain souffre bien sur, voire surtout, du comportement des autres soldats, de certains chefs; des ignominies que de nombreux soldats, voire de nombreux chefs sont capables de commettre, de l’inhumain qui est est en eux. 

Mais restera-il un esprit sain?

Un beau coup de coeur !

Éditeur : Autrement – Traduction par Rose-Marie Makino-Fayolle & Maya Morioka-Todeschini -2019 – 262 pages


Lien vers la présentation de Shôhei Ôoka


Quelques lignes

  • Au cours des longues heures d’ennui sur le bateau, nous nous sommes lamentés sur notre condition d’esclaves, mais au bout de trois mois de garnison avec les anciens, les petits détails de la vie quotidienne nous avaient ramenés à notre égoïsme naturel » (P. 17)
  • « Finalement, ils étaient comme moi des rebuts abandonnés par leur compagnie vaincue. […] on aurait dit des animaux plutôt que des êtres humains. »  (P. 42-3)
  • « La ration de l’hôpital étant d’une boule de riz par jour, nous nous étions adaptés spontanément à ce rythme. » (P. 49)
  • « S’il y avait la moindre parcelle de vérité dans l’hypothèse selon laquelle les émotions de la vie quotidienne plongeraient leurs racines dans la possibilité qu’ont les choses de «pouvoir se répéter » à l’infini, sentir que j’avais déjà fait ce que je faisais alors n’était-il pas en quelque sorte une perversion de l’espoir de «le refaire encore une fois »? » (P. 102)
  • « S’il y avait la moindre parcelle de vérité dans l’hypothèse selon laquelle les émotions de la vie quotidienne plongeraient leurs racines dans la possibilité qu’ont les choses de «pouvoir se répéter » à l’infini, sentir que j’avais déjà fait ce que je faisais alors n’était-il pas en quelque sorte une perversion de l’espoir de «le refaire encore une fois »? » (P. 102)
  • « Parmi d’autres restes de corps humains, toutes sortes de morçeaux sans aucune valeur alimentaire avaient été abandonnés là. Grillés par le soleil, lavés par la pluie, ils s’étaient transformés de différentes manières, et il m’est impossible de trouver les mots pour décrire cet amoncellement de choses informes. Pourtant ce seraait une exagération d’écrire que j’ai éprouvé un choc en les découvrant. L’homme est capable d’accepter la pire des situations. En de telles circonstances, une certaine distance entre lui et ce à quoi il est confronté le protège de toute émotion inutile. » (P. 236)
  • « De vivant et qui bougeait, il n’y avait que les mouches » (P. 188)
  • « Dieu n’est rien. C’est un être si fragile que nous sommes obligés de croire à son existence. Le problème est de savoir  si j’ai été oui ou non victime d’une hallucination. » (P. 255)

 

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