« HHhH » – Laurent Binet

HHhHUn livre dont tout lecteur, un peu passionné par l’histoire du XXème siècle connait la fin…L’élimination de Reinhard Heydrich, chef de la Gestapo, chef des services secrets nazis, par deux parachutistes venus de Londres..Un livre toutefois passionnant.  
J’avais écrit « l’assassinat », que j’ai remplacé par « l’élimination »…l’assassinat étant un crime réprimé par la loi de tout pays civilisé, …l’élimination est une délivrance
Livre d’histoire ou roman? 

Laurent Binet dont ce fut le premier livre s’est appuyé sans aucun doute, il le dit lui-même et le résultat le prouve, sur une documentation importante pour retracer le parcours de Heidrich au sein de l’organigramme nazi, sa jeunesse, ses crimes et sa violence par tueurs interposés, la traque de ses tueurs, les exactions nazies qui suivirent….Laurent Binet qui éprouve le besoin de se justifie »
« Il est bien entendu qu’à aucun moment, moi, fils d’une mère juive et d’un père communiste nourri aux valeurs républicaines de la petite bourgeoisie française la plus progressiste et imprégné par mes études littéraires aussi bien de l’humanisme de Montaigne et de la philosophie de Lumières que des grandes révoltes surréalistes et des pensées existentialistes, je n’ai pu et ne pourrai être tenté de sympathiser avec qui que ce soit qui évoquerait le nazisme de près ou de loin. Mais force est de m’incliner devant l’incommensurable et néfaste pouvoir de la littérature. En effet ce rêve prouve formellement que par son indiscutable dimension romanesque, Heidrich m’impressionne » (P. 70)
Il a romancé ce travail en prêtant à ses personnages des conversations, des sentiments, des rencontres…Et alors? certains y trouvent à redire…Les faits historiques, la grande Histoire ne sont pas mis en doute par certains aspects romancés du livre…Il a su et c’est important, nous faire partager l’ambiance, l’atmosphère de ces années, la peur que de tels monstres inspiraient, le courage de ces hommes et femmes qui s’engageaient dans une mission en sachant qu’ils seraient torturés, qu’il y perdraient la vie s’ils étaient capturés, la préparation en Angleterre de l’opération « Anthropoïde », la formation des hommes qui devaient tuer Heydrich…« C’est comme si un docteur Frankenstein romancier avait accouché d’une créature terrifiante à partir des plus grands monstres de la littérature. Sauf que Heidrich n’est pas un monstre de papier. » (P. 138)
On découvre, même si on le savait déjà, le salaud qu’était Heydrich, père aimant de ses enfants, de son épouse devant elle, mais la trompant sans vergogne, ce monstre planificateur de la Solution finale, ce parfait aryen blond….peut-être un peu juif par certains de ses ancêtres, ayant droit de vie et de mort sur les tchèques…un droit dont il ne s’est pas privé…cet homme « cerveau de Himmler » dont on disait chez les SS, selon Binet : « HHhH » :  Himmlers Hirn heiβt Heydrich – le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich… Vrai ou faux?
Laurent Binet invente ces conversations, ces situations, ces rencontres…elles nous semblent réalistes et historiques..Le sont-elles? Lui-même attire notre attention et s’en défend : « Cette scène n’est pas forcément très utile, et en plus je l’ai pratiquement inventée, je ne crois pas que je vais la garder » (P. 288)…et il la garde!
Les principaux héros ou les monstres, personnages principaux du livre ont existé…Alors pourquoi ne pas leur prêter vie?
A t-il inventé d’autres scènes ayant un caractère beaucoup plus historique, notamment le fait qu’Hitler envisageait de déplacer Heydrich à Paris pour mater comme il l’avait fait avec les tchèques tout esprit de résistance en France?…..prétexte de  la rencontre entre Heydrich,  Bousquet, secrétaire général à la Police, et Darquier de Pellepoix…J’aurais aimé le savoir
Malgré tout un bon rappel historique…et un bon roman couronné par le Goncourt du premier roman
Binet nous prévient très tôt : « J’ai dit que je ne voulais pas faire un manuel,d’histoire. Cette histoire-là j’en fais une affaire personnelle. C’est pourquoi mes visions se mélangent quelque fois aux faits avérés. Voilà, c’est comme ça » (P. 146)

Et pour l’amateur d’histoire que je suis, ce fut un bon moment de plaisir malgré des interrogations qui subsistent


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Extraits
  • « Chaque Ètat a besoin d’une élite. L’élite de l’Ètat national-socialiste, c’est la SS. Elle est le lieu où se perpétuent, sur la base de la sélection raciale, conjuguée aux exigences du temps présent, la tradition militaire allemande, la dignité et la noblesse allemande et l’efficacité de l’industriel allemand » (P. 42)
  • « Heidrich a donc sauvé sa tête. Mais il a revécu le cauchemar de son enfance. Quelle étrange fatalité qu’on l’accuse d’être juif, lui qui incarne si manifestement lui qui incarne la race aryenne dans toute sa pureté? Sa haine croit contre tout le peuple maudit. » (P. 58)
  • « Dans un système de gouvernement totalitaire moderne, le principe de la sécurité de l’Etat n’a pas de limite, donc celui qui en a la charge doit s’attacher à acquérir un pouvoir presque sans entrave » (P. 60)
  • « L’obéissance aux ordres, au nom de l’honneur militaire et du serment prêté, fut le seul argument invoqué après guerre pour justifier tous leurs crimes » (P. 86)
  • « Il convient de priver les Juifs de leurs moyens de vivre – et pas seulement dans la sphère économique. L’Allemagne doit être un pays sans avenir pour eux. Seule la vieille génération doit être autorisée à mourir ici en paix, mais pas les jeunes en sorte que subsiste l’incitation à émigrer. Quant aux moyens, l’antisemitisme bagarreur doit être rejeté. On ne combat pas les rats avec un revolver mais avec du poison et des gaz » (P. 92)
  • « Daladier ancien ministre de La Défense nationale du Front Populaire, invoque des questions de défense nationale, non pas pour empêcher Hitler de démembrer la Tchécoslovaquie, mais pour revenir sur la semaine de 40 heures, c’est à dire justement l’un des acquis du Front populaire. A ce degré de bêtise politique, la trahison devient presque une œuvre d’art » (P. 103)
  • « Vous deviez choisir entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur. Et vous aurez la guerre » (P. 110)
  • « La population toute entière est considérée comme une sorte de police auxiliaire, à charge pour elle de surveiller et de lui signaler tout comportement suspect chez les Juifs. L’insurrection du ghetto de Varsovie en 1943, que l’armée allemande mettra trois semaines à écraser, validera son analyse : les Juifs il faut quand même s’en méfier.  Par ailleurs il sait aussi que les microbes ne font pas de distinction de race » (P. 119)
  • « Depuis des années que je porte ce livre en moi, je n’ai jamais pensé à l’intituler autrement que « Opération Anthropoïde » (et si jamais ce n’est pas le titre que vous pourrez lire sur la couverture, vous aurez que j’ai cédé à l’éditeur qui ne l’aimait pas trop : trop SF, trop Robert Ludmum paraît-il….). Or Heidrich est la cible et non l’acteur de l’opération. Tout ce que je raconte sur lui revient à poser le décor, en quelque sorte. Mais il fait bien reconnaître que d’un point de vue littéraire, Heidrich est un beau personnage. C’est comme si un docteur Frankenstein romancier avait accouché d’une créature terrifiante à partir des plus grands monstres de la littérature. Sauf que Heidrich n’est pas un monstre de papier. » (P. 138)
  • « …en temps de guerre, le poids d’un chef d’Etat ne se mesure qu’au nombre de ses divisions » (P. 229)
  • « Il est essentiel de régler leur compte aux enseignants tchèques car le corps enseignant est un vivier pour l’opposition. Il faut le détruire et fermer les lycées tchèques. Naturellement la jeunesse tchèque devra alors être prise en charge en un lieu où on pourra l’éduquer hors de l’école et l’arracher à cette atmosphère subversive. Je ne vois pas pour cela de meilleur endroit qu’un terrain de sport. Avec l’éducation physique et le sport, nous assurerons tout à la fois un développement, une rééducation et une éducation » (P. 276)
  • « L’honneur de l’Education nationale est bel et bien défendu par les profs qui, quoi qu’on puisse en penser par ailleurs ont vocation à être des éléments subversifs et méritent qu’on leur rende hommage pour cela » (P. 277)
  • « Je préfère rapporter un détail inutile plutôt que de prendre le risque de passer à côté d’un détail essentiel » (P. 292)
  • « Plus que le plaisir de délivrer un scoop, je pense qu’Heydrich goûte celui de verbaliser l’inouï et l’impensable, comme pour donner déjà un peu de corps à l’inimaginable vérité. Voilà ce que j’ai à vous dire, vous le savez déjà, mais c’est à moi de vous le dire, et c’est à nous de la faire. Vertige de l’orateur qui doit traiter de l’innommable. Ivresse du monstre à l’évocation des monstruosités qui s’annoncent et  dont il doit être le héraut » (P. 314)

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