« Satires » – Edgar Hilsenrath

« Il faut rire de tout. C’est extrêmement important. C’est la seule humaine façon de friser la lucidité sans tomber dedans. » disait Pierre Desproges

Une lucidité et une dérision que j’ai retrouvées sous une forme ou une autre dans tous les textes que j’ai eu l’occasion de lire d’Edgar Hilsenrath….

Il pouvait, sans jamais pouvoir  être montré du doigt ou accusé, rire de tout, être iconoclaste, ou presque « borderline » comme disent les anglais pour définir cet état à la marge entre  la névrose et la psychose.

Il avait connu la Shoah allemande, et également le stalinisme…dont il a démontré si besoin était toute leur proximité…il avait souffert de ces deux pouvoirs

Il a choisit l’angle de l’absurde et du grotesque pour évoquer dans ce titre « Satires » l’Allemagne moderne qu’il découvre sous un jour nouveau après l’avoir quittée pour fuir le nazisme : « Tout est fini. La vie d’un Allemand ne vaut plus la peine d’être vécue. Les Ricains vont débarquer. Puis les travailleurs immigrés. Mais attends, ma chère Gerda. Il y aura d’abord la faim, et la dénazification. Puis la réforme monétaire. Après, ça ira peut-être mieux. Mais sans moi, Gerda. Je ne veux plus. Oui, on remontera la pente. Et il y aura de nouveau des Forêt noire aux cerises et des gâteaux aux fraises. Les Allemands seront de plus en plus gras et ne voudront plus travailler. Alors les travailleurs immigrés viendront faire les travaux pénibles. Et tu seras seule, Gerda. Et tu vieilliras. Et tu seras de plus en plus grosse à force de manger du gâteau aux fraises. Du gâteau aux fraises avec de la chantilly. »

C’est un survivant de la shoah qui évoque, avec lucidité, tour à tour le Mur de Berlin, la drogue, le socialisme, les travailleurs émigrés, les ménagères, les fonctionnaires, le fascisme, la sécurité, les centrales nucléaires « terrorisme du futur » …et j’en passe, bref, le monde moderne…..un monde avec ses incohérences.

Autant de textes  jubilatoires et dérangeants pour sourire, pour rire jaune de nos sociétés modernes, de nos hantises, de nos craintes.

Ce n’est pas le texte, qui vient spontanément à l’esprit quand on évoque cet auteur, et pourtant…quel plaisir !


Lien vers la présentation d’Edgar Hilsenrath


Quelques lignes

« Qu’est ce que c’est, un travailleur immigré?
Une espèce d’invité qu’on fait venir pour l’exploiter et dont on veut se débarrasser dès qu’on n’a plus besoin de lui. » (P. 33)
 
« N’importe quel pauvre diable d’étranger avec un boulot qu’aucun Allemand ne veut faire est un «travailleur invité» » (P. 33)
 
« Chez soi, c’est là où on gagne son pain. » (P. 35)
 
« Les horloges ne marchent que dans un sens. » (P. 55)
 
« Tu sais, à l’époque, si tous les nazis étaient allés au foot au lieu d’aller au Parti…pour se sortir la rage du ventre en gueulant pour se libérer…il n’y aurait pas eu de grand Reich allemand. » (P. 74)
 
« L’Amérique est le pays des promesses !
C’est là qu’a été inventée l’ère atomique, avec un avenir qui nous fait peur. » (P. 139)

« Le Retour au pays de Jossel Wassermann » – Edgar Hilsenrath

Le Retour au pays de Jossel Wassermann« Le porteur d’eau Jankl était monté le dernier dans le wagon. Rien d’étonnant s’il se trouvait tout près de la porte, qu’on avait verrouillé de l’extérieur. »  Le train part dans le froid glacial vers une destination inconnue.
L’un de ces sinistres trains
Jankel est sans aucun doute l’un des plus pauvre du shetetl, le village de planches de ces juifs que ce juifs viennent de quitter.. Il portait l’eau de porte en porte dans ces villages où l’eau courante n’existait pas….
On leur a promis qu’ils partaient vers de belles maisons…on est au début de la guerre. 
Il faut plutôt dire « était » l’un des plus pauvres, car il vient d’hériter de quatre-vingt mille francs suisses et trente trois centimes suisses de son oncle Jossel, dirigeant d’une usine de  fabrication de pain azyme en Suisse.  Lire la suite

« Nuit » – Edgar Hilsenrath

NuitEncore un livre sur la 2ème guerre mondiale, la Shoah, les ghettos, les juifs direz vous !!! Oui mais quel livre! Un livre qui a subit une longue censure de près de 20 ans en Allemagne! Un livre « iconoclaste  » qui balaie l’image du juif, en opposition totale avec l’image du juif-victime consensuelle développée après-guerre. Lire la suite